Mohammedia, 14-15 Décembre 2007
Les incertitudes du savoir politique dans le Maroc d’aujourd’hui
Les configurations du débat public, les champs de la prise de position, du commentaire, de l’analyse et de l’investigation scientifiques, qui ont prévalu depuis l’indépendance, ont radicalement changé au Maroc aujourd’hui. Le nombre de chercheurs, celui des recherches entreprises, finalisées et publiées, des institutions de formation et d’investigation ont sensiblement augmenté au moins en nombre, et même si, en attendant de s’entendre sur les mécanismes d’évaluation adéquats, chacun peut encore librement se faire son opinion sur la valeur et la qualité réelles de ces contributions. Les bilans d’hier et d’aujourd’hui se sont eux-mêmes considérablement multipliés.
Entre théorie pure et applications, production experte et production médiatique, entre production académique et animations diverses, quelques tendances notoires se dégagent à l’horizon :
- Les contributions inscrites dans les logiques des acteurs politiques ou assimilés, à la fois en termes d’échanges de coups ponctuels, « situés », mais aussi de tendances et d’hypothèses : leurs intentions, leurs objectifs, leurs actions, leurs contradictions, leurs tactiques et leurs stratégies, leurs heurs et malheurs, leurs succès et leurs échecs, leurs espérances et leurs impasses, leurs constances et leurs reclassements, leurs incohérences et leurs justifications. Le champs politique est ainsi appréhendé comme un terrain de compétition entre acteurs volontaristes..
- La seconde met en relief des lectures plus dialectiques tentant de valider des hypothèses, des schémas pré-établis et des rapports de forces : la politologie s’érige en système de valeurs et en instance de prescription, voire de moralisation, à travers une variété d’approches : l’évaluation politique, le point de l’état d’information, l’analyse sécuritaire, ou tout simplement la critique politique plus ou moins engagée. Du haut de son magistère, sur la base d’une critériologie interne et / ou externe (croyances, valeurs , présupposés, postulats ), le politologue distribue des plus et des moins, verbalise des progrès et des reculs , relève des continuités et des ruptures , identifie des développements normaux et des déviations..
- Une troisième se dégage en se posant comme tentative d’objectivation, de foi en la science. Cela repose sur une militance d’un type nouveau par rapport au contexte marocain des dernières décennies et consiste à faire violence à soi-même et aux habitus de relation primaire au politique , et à se soustraire autant que possible à l’univers de l’évaluation normative . Expression d’humilité, cette orientation reporte au plus tard possible le prescriptif, la prise de parti, et laisse se déployer pleinement la collecte d’informations, le travail de la raison scientifique en s’armant des précautions méthodologiques nécessaires.
Aux premiers temps de ses exercices au Maroc, les catégories de la science politique de la période de l’Indépendance étaient relativement plus claires et plus simples. Tout renvoyait au politique, au système, au régime, au pouvoir. Le champs politique a été focalisé plusieurs décennies autour du gouvernement et de ses oppositions. Actuellement, les spécifications sont de plus en plus importantes, les accumulations sont devenues mine de rien imposantes, au niveau de chaque thématique. Le terme « bilan » a plus de chances aujourd’hui de mieux correspondre à une accumulation réelle par sujets , rubriques , spécialités , problématiques ,voire tendances doctrinales. Les prises en charge des complexités du politique, ses compositions et recompositions, ses interférences se sont démultipliées, sans que l’on puisse pour autant débattre d’une politique de la recherche dans le domaine.
Le congrès de l’Association Marocaine de Sciences Politiques de décembre 2007 constitue une opportunité pour réitérer l’appel à investir le politique tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Il s’agit d’élaborer de nouveau l’éloge de l’interrogation, du questionnement. A cet égard, notre science de la politique est impliquée dans des démarches d’ingénieries (constitutionnelles, institutionnelles, électorales, administratives..), ainsi que dans des postures de justification.
La question de l’identité scientifique de la science politique au Maroc est loin d’être clarifiée. Tout le monde semble croire pouvoir en faire aisément et n’hésite pas à le faire. Dans le champ scientifique marocain, voire même intellectuel, les lignes démarquant les territoires du scientifique des espaces où se réalise l’analyse intéressée, plus ou moins compromise, où se déploient les démarches simplement profanes, s’avèrent encore loin d’être nettes.
Quatre axes s’imposent à l’analyse et structurent les débats de cette troisième rencontre :
Le premier axe porte sur le rapport de la science politique à la transition au Maroc. Il s’agit de prospecter les dimensions politiques de la phase en cours, son champ d’activité, ses acteurs. Comment inscrire les savoirs développés sur le politique dans le cadre des dynamiques conjoncturelles ? Comment appliquer la connaissance sur le vécu ? Comment confectionner un discours savant sur la politique telle qu’elle se fait au moment où elle se fait ? L’exploration des dimensions de la transition renvoie à sa thématisation, à son intertextualité, c’est-à-dire à la variété des expériences auxquelles elle se rattache..
Le second axe concerne le rapport de la science politique aux mutations sociales au Maroc. Une approche du social est partout à l’ordre du jour. Comment la science politique appréhende-t-elle les politiques sociales, le développement social, le développement humain.?
Le troisième axe se centre sur la question du rapport de la science politique à la transculturalité au Maroc. Quelle chance a-t-on de dépasser l’approche culturaliste consistant à tout expliquer par les spécificités culturelles et par un déterminisme culturaliste ? Le choc des civilisations ou l’alliance des civilisations ne se conçoit pas en termes de conflictualité, mais d’abord en termes de regard sur soi : le culturel au sens large (arts, lettres, pensée, production intellectuelle..) mais aussi sensibilité, vécu, existence, tradition, ancrage, substrat..
Enfin, le quatrième axe se rapporte à la problématique de la science politique face aux défis de la mondialisation au Maroc. Il s’agit de prospecter d’une part les regards développés à travers la recherche politologique sur les dimensions internationales du politique marocain, institutionnelles et relationnelles, bilatérales ou multilatérales, ses pré-positionnements et postures stratégiques, et de souligner d’autre part les flux politiques, économiques, sociaux, culturels, médiatiques, diffus et envahissants de la mondialisation.