La Chine et les États-Unis sont aujourd’hui dans un état de guerre économique sans précédent. La nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative) est l’un des éléments clés dans la crise entre ces deux pays vu la méfiance américaine envers ce projet. En fait, le stéréotype du « péril jaune » joue un rôle important dans la construction de cette méfiance envers tout ce qui est chinois. Ces stéréotypes, permettant de faire des raccourcis heuristiques et des simplifications, pèsent sur la prise de décision dans la politique étrangère américaine. Le système politique américain présidentiel lie la politique étrangère américaine à la personnalité de son président et ainsi à sa cognition. Ainsi, la politique étrangère américaine est dépendante de ces dernières, malgré la présence de « checks and balances » permettant au Congrès américain d’avoir son mot à dire sur les questions de politique étrangère.
Il serait donc intéressant de voir comment le stéréotype du chinois s’est manifesté dans la culture américaine et en quoi ce dernier a impacté la vision des américains envers le projet de la nouvelle route de la soie.
- La Chine dans l’imaginaire américain :
Dans cette partie, nous allons voir comment la Chine est perçue comme une menace, comme un péril pour la civilisation occidentale par les américains et quelles ont été les manifestations de cette perception.
La Chine et les chinois ont longtemps été perçus comme une menace pour la civilisation occidentale blanche. En fait, cette perception a été ancrée dans la culture populaire américaine à travers plusieurs pratiques culturelles. Par exemple, au début du XXème siècle, la sérialisation du mythe du vilain Fu Manchu qui était populaire chez la classe moyenne américaine blanche (Moon 2015) a participé dans la construction d’une image attisant plus de méfiance que de confiance envers les chinois. Une telle sérialisation permet une reconstruction permanente de cette image menaçante du chinois (Meyer 2013). Malgré le recul de cette image dans la période d’après-guerre et la montée dans la culture populaire du chinois kung-fu master, cette image a resurgi depuis le début du XXIème siècle.
Cette construction de l’image du chinois comme étant menaçant envers la civilisation américaine s’est aussi manifesté au niveau politique et plus spécifiquement dans la politique migratoire américaine. En 1882, un épisode important dans l’histoire de la politique migratoire fût marqué. En fait, le Chinese Exclusion Actfût la première restriction basée sur un critère ethnique (Chen 2015). Le sentiment que le travailleur chinois allait remplacer le travailleur californien a poussé ce dernier à se révolter (Gyory 1998) et à demander aux politiciens de réagir face à cette immigration qui devenait massive surtout après 1853 (Chen 2015) et la découverte de l’or en Californie.
Au niveau commercial, la Chine a longtemps été perçue comme un grand danger pour les occidentaux. En effet, ceci peut remonter au tout début du XXème siècle avec un écrit référentiel sur le sujet de l’orientaliste et voyageur britannique Alleney Ireland qui présente la Chine comme un « problème » (1900) et un danger pour l’Occident sur le plan commercial. Dans ce texte, il met en garde l’Occident contre la puissance commerciale chinoise qui réside en sa population qui permettrait aux chinois d’exclure l’Homme blanc des avantages commerciaux que permettrait une maximisation de l’utilisation du potentiel économique de la Chine et des peuples asiatiques (Ireland 1900). La nouvelle route de la soie pourrait être considérée comme la réalisation de cette exclusion des états-uniens vu que la route de la soie n’inclut nullement les États-Unis. En plus de cela, Ireland mettait en garde contre un changement et une hausse dans le taux d’alphabétisation et une amélioration de la qualité de l’éducation des chinois qui rendraient selon lui la tache encore « plus compliqué » pour l’Homme blanc, vu que ce voyageur considère les chinois physiologiquement supérieurs aux blancs (résistants à la chaleur comme au froid, travailleurs…).
Tous ces écrits allant de la culture populaire à des écrits plus savants ont participé à la construction d’une image et d’un stéréotype du danger chinois autant chez l’américain ordinaire que chez le décideur américain.
- Stéréotypes, perceptions et cognition dans la politique étrangère américaine :
Nous allons voir en quoi les stéréotypes et l’image nationale jouent un rôle important dans la prise de décision en matière de politique étrangère. Plus spécifiquement, nous tenterons d’analyser le poids du stéréotype du danger chinois dans la politique étrangère américaine envers la Chine, surtout sous l’administration Trump.
Les perceptions de la réalité jouent un rôle central dans la prise de décision en politique étrangère. Ne pas prendre en compte ces perceptions dans l’analyse de la politique étrangère d’un pays est une erreur grossière (Morin et Paquin 2018). L’utilisation des stéréotypes comme raccourci heuristique est commune chez les décideurs (Holsti 1962), cependant la centralité de ceux-ci dans le système de croyance et dans leur perception de la réalité dépendde la complexité cognitive du décideur – le président dans le cas des États-Unis. La complexité cognitive du Président américain actuelle Donald Trump est très faible (Jordan et Pannebaker 2017). En fait, en utilisant des méthodes d’analyse de discours, Jordan et Pannebaker sont arrivés à la conclusion que Président Trump fait partie des présidents dont la complexité cognitive est la plus faible (figure 1). Ainsi, son utilisation des stéréotypes devient beaucoup plus élevée vu la facilité et la simplicité des réponses apportées par ces derniers. De plus, les stéréotypes permettent de renforcer et reproduire une certaine perception de la réalité et l’image que le leader a sur un certain pays.
Dans le cas de la politique étrangère menée par les États-Unis vis-à-vis la Chine, le fait est que toute action menée par la Chine est vue comme offensive et visant à « détrôner » les États-Unis, en l’occurrence la nouvelle route de la soie. Le fait que la Chine n’ait pas inclus les États-Unis dans leur projet est perçu par les américains comme un acte d’agression envers les États-Unis d’Amérique. Ceci fait que toutes les réponses des États-Unis sont encore plus agressives et vise plus à l’escalade que l’apaisement de la situation. Ainsi, les États-Unis ont annoncé une série de sanction visant à détériorer les capacités commerciales chinoises. Le stéréotype du péril jaune joue un rôle central dans l’argumentaire américain quand il s’agit de justifier ces politiques agressives. Le président actuel de l’État fédéral présente souvent la Chine comme étant le plus grand des dangers, il est même allé jusqu’à placer la Chine à côté de l’Iran, le Venezuela et la Syrie dans son discours devant l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2018. L’image de la Chine chez le citoyen états-unien ordinaire permet une légitimation de ces actes et politiques agressives menées par le président actuel.
En plus de cela, il existe chez les décideurs en politique étrangère une surestimation de l’hostilité d’autrui qui fait que les politiques tendent plus vers une politique d’escalade qu’une politique d’apaisement (Jervis 1976). Le stéréotype du péril chinois vient ici amplifier cette « erreur de perception » (misperception).
Cependant, ce qui paraît paradoxal est que les sanctions ainsi que les sorties des traités de libre-échange transpacifique ne paraissent pas comme la réponse la plus adéquate au projet de la nouvelle route de la soie vu que cela reflète une volonté de renfermement et d’isolation où il serait plus convenable d’approfondir les traités de libre-échange pour ne pas se retrouver isolé et ainsi réalisé ce qui est perçu comme l’objectif de ce projet – c’est-à-dire l’isolation des États-Unis (Nordin et Weissman 2018).
Conclusion
Ainsi, nous pouvons dire qu’un stéréotype ancré dans la culture peut influencer les politiques étrangères d’un pays à travers le cas de l’influence du stéréotype du péril chinois sur la réaction états-unienne au projet de la nouvelle route de la soie. Ce surtout sous une administration dont le chef possède une complexité cognitive très faible ce qui rend les stéréotypes très centraux dans sa cognition et sa perception du monde. Aujourd’hui, à l’aube des élections américaines de 2020, nous pouvons nous demander où est-ce qu’en seront les relations sino-américaines dans dix-sept mois ? Le prochain président effectuera-t-il un changement de cap dans la politique étrangère envers la Chine ?
Annexe :
Figure 1 : Classement des présidents américains selon leur sens analytique moyen
Références :
Chen, J. (2015). The Impact of Skill-Based Immigration Restrictions: The Chinese Exclusion Act of 1882. Journal of Human Capital, 9(3), 298-328. doi:10.1086/683186
Gyory, A. (1998). Closing the Gate: Race, Politics, and the Chinese Exclusion Act. Chapel Hill: University ofNorth Carolina Press.
Holsti, O.R. (1962). The Belief System and National Images: A Case Study. Journal of Conflict Resolution 6 (3): 244–252.
Ireland, A. (1900). Commercial Aspect of the Yellow Peril. The North American Review, 171(526), 389-400. Retrieved from http://www.jstor.org.eres.qnl.qa/stable/25105061
Jervis, R. 1976. Perception and Misperception in International Politics. Princeton: Princeton University Press.
Jordan, K. N., &Pennebaker, J. W. (2017). The exception or the rule: Using words to assess analytic thinking, Donald Trump, and the American presidency. Translational Issues in Psychological Science, 3(3), 312-316.http://dx.doi.org/10.1037/tps0000125
Meyer, R. (2013). Fu Manchu: the Chinese Supervillain and the Spread of Yellow Peril Ideology.Temple University Press.
Moon, K. (2015). Book Review: Mayer, Serial Fu Manchu: The Chinese Supervillain and the Spread of Yellow Peril Ideology. Pacific Historical Review, 84(2), 271-272. doi:10.1525/phr.2015.84.2.271
Morin, J-F., & Paquin, J. (2018). Foreign Policy Analysis: A Toolbox. Palgrave Macmillan.
Nordin, A. and Weissmann, M. (2018). Will Trump make China great again? The belt and road initiative and international order. International Affairs, 94(2), pp.231-249.
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