Najoua MAAROUF: Les défis de la régionalisation avancée, de l’apport des collectivités territoriales

S’interroger sur le développement d’un territoire renvoie systématiquement aux relations de confiance, de solidarité et de proximité entre les différents acteurs. Les stratégies de développement axées sur le local afin d’intégrer les territoires défavorisés et oubliés par les mesures nationales, peuvent constituer un rempart contre la déstructuration des territoires.

Quelques-unes des principales limites de développement suivi au Maroc résident dans la persistance des inégalités. Les dynamiques sociales constituent les vecteurs d’évolution des territoires. Ainsi, le constat établi est que la qualité des partenariats locaux conditionne la capacité des agents à s’entendre, à s’organiser et à se coordonner pour atteindre des objectifs de long terme. Les territoires, fondements de l’action à venir sont désormais les piliers du développement territorial, qui s’appuient sur une économie de proximité.

A ce stade, l’accent doit être mis sur l’articulation de l’économie de proximité et de l’approche du capital social, afin de mieux cerner les mécanismes à l’œuvre dans les processus de développement local. En conséquence, il devient nécessaire d’appréhender l’importance des coordinations locales et des dynamiques sociales dans les processus de construction des territoires et du développement.

Aujourd’hui, la dimension nationale, relativement marquée par la pratique centralisatrice de l’État marocain, est en train de se décharger et de céder la place à la dimension territoriale. Cette dernière, reconnait la diversité et l’autonomie des différents territoires et acteurs soumis désormais, à une souveraineté locale. La Constitution de 2011 a doté le Maroc d’une structure intégrée de gouvernance territoriale, visant en principe à consolider la pratique démocratique dans le cadre de la régionalisation avancée et par-là, d’ébaucher le processus de la modernisation des structures de représentation à l’échelle locale, fondée ainsi sur une culture politique de concertation et de consensus.

Bien que la régionalisation soit en cours de mise en œuvre effective et d’appropriation par les acteurs locaux, elle constitue une certaine rupture avec les rapports de nature centralisatrice, qui liaient jusque-là l’Etat marocain à ses territoires. Vue comme un « catalyseur du développement économique et social du Maroc », cette nouvelle vision de développement insiste sur le rôle et la contribution des collectivités territoriales, et plus particulièrement des régions dans le développement économique, politique, social, culturel et environnemental du pays. Cela devrait s’accompagner par la mobilisation de nouvelles ressources, la capacitation du capital humain et la mise en place d’instances en vue de réduire les disparités persistantes entre les régions (fonds de soutien financier).

Ainsi, deux types de régions sont à distinguer.  D’une part, Les régions définies en partant de métropoles qui se trouvent à la tête d’espaces de croissance économique majeurs pour le rôle qu’ils jouent aujourd’hui ou qu’ils vont jouer demain sur les plans économiques et du fonctionnement du territoire. D’autre part, les régions faiblement ou non polarisées et couvrant les montagnes atlasiques et les steppes et déserts plus ou moins oasiens, lesquelles sont confrontées à des problématiques austères et hypercritiques.

Par ailleurs, la voie du développement suivie par le Maroc jusqu’ici et reposant sur la régionalisation favorise l’intégration des politiques publiques en amont à l’occasion de l’élaboration des plans de développement régional (PDR) et des schémas directeurs d’aménagement du territoire (SRAT). Aussi la préparation de ces documents, doit-elle être envisagée, non comme une simple formalité technique ou de communication, mais en tant que réel levier d’intégration, de coordination et de promotion de la démocratie participative et de la planification ascendante. Dans le même sens, les autres instruments que représentent les groupements des collectivités territoriales et les sociétés de développement régional doivent être poussés en vue de servir ce même objectif d’intégration des politiques publiques et de convergence avec les différents projets et actions entamées par les collectivités territoriales. 

Un autre levier déterminant dans l’intégration des politiques publiques réside dans la programmation du budget de l’Etat. Nonobstant les avancées importantes enregistrées au niveau de la nouvelle loi organique des finances, il n’en demeure pas moins que la dimension régionalisation reste rudimentaire étant donné que l’approche sectorielle y est toujours dominante. Et de là, le rôle et l’apport des députés de la nation, qui peut consister à en faire l’un des débats parlementaires prioritaires.

Sous l’ère de la régionalisation avancée, la région relève beaucoup de défis dans l’accomplissement des missions, notamment en matière de développement économique. A cet égard, les centres régionaux d’investissement (CRI) peuvent apporter un soutien logistique et une expertise en termes de promotion d’attractivité et d’amélioration de l’environnement économique régional, mais également les chambres d’agriculture et celle de commerce. Une revalorisation de ces structures semble nécessaire.

Sans oublier, le composant « environnement » et les exigences de la durabilité, les stratégies et projets établis à l’échelle territoriale sont appelés à respecter les schémas d’aménagement du territoire et à favoriser l’exploitation rationnelle des ressources disponibles et s’inscrire dans une logique de protection et préservation. 

Les régions auront besoin de développer leur capacité de financement pour compléter l’effort de l’Etat qui ne peut à lui seul, couvrir l’ensemble des besoins et attentes des citoyens ni satisfaire les ambitions des responsables régionaux. Si la nature des ressources, essentiellement provenant de transferts de l’Etat, et le souci de ne pas alourdir les prélèvements obligatoires, laissent peu de marge aux régions pour augmenter ces ressources, l’alternative consiste, dans l’imagination et l’intelligence économique régionale, à créer de nouvelles opportunités économiques et d’investissements, à travers notamment l’amélioration et la diversification des recettes financières autres que fiscales.

Parallèlement, les élus locaux à côté des autres acteurs sont appelés à mener une stratégie territoriale, dans la perspective de valoriser les atouts et avantages comparatifs de chaque région et de promouvoir de ce fait, l’implantation d’investissements et la création de gisements d’emplois et de recettes au niveau de leur territoire.

La croissance économique n’aura aucun sens si elle ne se traduit pas par l’amélioration des conditions de vie des populations, autant qu’elle est basée sur l’emprunt afin de financer le déficit budgétaire.

Ainsi les visions, les stratégies et les projets établis dans les PDR et les SNAT doivent, tout en marquant les ambitions légitimes et réalistes des populations, comporter des plans d’action concrets et réalisables. Elles doivent converger d’abord vers des objectifs clairs et mesurables d’abolition des inégalités sociales et territoriales spécifiques et ensuite de création des conditions opportuns à un développement intégré et pérenne.

Concernant la question sociale, en tant que pivot du développement et préoccupation majeure au cœur de la régionalisation, se croisent divers aspects qui relèvent de la vie quotidienne du citoyen et de la préservation de sa dignité basée sur ses droits primordiaux (éducation, santé, habitat, emploi,…), ne sont pas bien évidement l’apanage du seul pouvoir central, quoique ce dernier déploie ses efforts, qui ne parviennent pas à apporter les réponses globales et adéquates aux grandes problématiques sociétales. 

Les actions des régions, aux côtés de l’Etat, des autres collectivités territoriales et de la société civile avec à leur avantage la proximité et la capacité de déchiffrer les attentes spécifiques de chaque territoire, arriveront à mieux identifier les problèmes et les solutions appropriées.

La régionalisation avancée peut être considérée comme un gain institutionnel important à l’horizon de la modernisation des structures et des institutions de l’État, et la réforme en profondeur de la relation entre le centre et le territoire, et la construction du nouveau modèle de développement.

Plusieurs grands défis émergent à l’analyse et l’évaluation de la régionalisation au Maroc à nos jours, dont à titre principal :

  1. Le défi de définition des compétences et prérogatives de la région ;
  2. Le défi du développement régional, la réduction les disparités spatiales et l’attractivité des territoires ;
  3. Le défi de la gouvernance financière ;
  4. Le défi de l’opérationnalisation de la charte de décentralisation et l’activation de la contractualisation ;
  5. Le défi de la participation citoyenne ;
  6. Le défi de l’efficacité et de l’efficience ;

Relever ces défis nécessite le passage à la vitesse maximale dans la construction régionale et l’activation de certaines recommandations pertinentes des différents colloques, rencontres, journées d’études, travaux de la commission, auto-saisine du Conseil Economique, Social et Environnemental.

A cet égard, plusieurs outputs peuvent être évoqués :

  • La distribution équitable des investissements de l’Etat relativement à la justice territoriale et sa non-concentration sur la côte nord et la marginalisation des autres territoires ;
  • L’aménagement d’un développement équilibré et parallèle entre les régions et son efficience sur le niveau de vie de la population pour bénéficier des biens symboliques et matériels dans le but de rehausser la qualité de la citoyenneté marocaine à l’horizon d’une justice sociale reconnaissant les droits de la femme, de l’enfant, des personnes à besoins spécifiques et des jeunes à l’emploi, à la santé et à l’éducation ;
  • La promotion d’une compensation économique des régions ayant épuisé leur dynamique économique notamment par le truchement de l’emploi des jeunes fondé sur une socialisation à base d’une culture de mérite et de l’initiative au lieu de celle de la rente et du clientélisme ;
  • Le passage de régions annexes du centre vers des régions autonomes constituant des pôles économiques peut résorber le chômage local en exploitant les ressources et les atouts régionaux à travers une logique démocratique selon laquelle l’intégration locale est la base de l’intégration nationale ;
  • L’appui sur un paradigme intégratif qui reconnaît un modèle de développement national englobant des modèles régionaux à l’aune des nouvelles valeurs citoyennes résultant d’une transition citoyenne passant d’une citoyenneté réelle territorialisée vers une citoyenneté virtuelle déterritorialisée, est essentielle ;
  • La promulgation des politiques publiques au niveau territorial et le renforcement de leur autorité de réglementation ;
  • Le transfert effectif des compétences spécifiques au profit des régions selon une approche systématique et un calendrier précis ;
  • L’élévation de la région à un niveau supérieur à celui d’une collectivité territoriale ordinaire ;
  • L’accompagnement du transfert effectif des compétences propres des collectivités territoriales par un transfert des ressources financières et humaines qui lui sont allouées ;
  • La prise en compte de la nature des pouvoirs et des rôles des autorités locales dans les approbations budgétaires ;
  • L’adoption du principe de subsidiarité stipulé dans la constitution, en définissant les principes généraux des compétences des trois niveaux des collectivités territoriales et leur distinction : par exemple services de proximité pour les communes, le développement social pour conseils préfectoraux et provinciaux, et le développement intégré et durable pour les régions. Le principe qui doit être respecté et appliqué dans la relation entre l’État et les régions d’une part et entre les régions et le reste des collectivités territoriales d’autre part ;
  • La détermination par les régions du cadre optimal pour la mise en œuvre des compétences conjointes, notamment en définissant le cadre méthodologique de la contractualisation entre l’État et les régions, en vue de l’élaboration d’un code des collectivités territoriales, et afin d’assurer la création d’une complémentarité entre les différents niveaux de collectivités territoriales ;
  • La création d’un comité de pilotage stratégique du projet régional avancé dirigé par le chef du gouvernement, les ministères, gouverneurs et présidents des conseils régionaux chargé de la stratégie régionale, du suivi, de l’évaluation et de la rédaction d’un rapport annuel sectoriel et globale ;
  • La mise en place des structures interministérielles de soutien du processus procédural de la régionalisation ;
  • L’activation et le développement d’outils de planification et de programmation ;
  • La préparation des modèles de développement régional qui reflètent la vie privée de chaque partie dans un contexte encadré par l’unité nationale ;
  • Le renforcement des mécanismes de planification des sols en harmonie avec les orientations politiques de l’État dans le domaine de la préparation des sols ;
  • L’encouragement de la mise en place d’un observatoire régional pluridisciplinaire – emploi – formation professionnelle – économie sociale et solidaire, dans le cadre de partenariats avec les acteurs régionaux ;
  • Le renforcement et le soutien automatique des mécanismes de coordination des programmes de développement et leur intégration dans les plans sectoriels ;
  • La relance budgétaire comme pilier de l’attractivité des investissements ;
  • L’établissement d’un partenariat responsable entre les régions, les agences régionales et l’État selon une gouvernance appropriée ;
  • Le développement d’une stratégie commune avec d’autres acteurs (centres régionaux d’investissement) pour réussir la communication autour de la valorisation des atouts des régions ;
  • La promotion et le renforcement du rôle de l’entreprise et du secteur privé dans le développement régional intégré grâce à des partenariats entre le secteur public et privé. ;
  • L’adaptation des programmes de formation professionnelle aux besoins et aux exigences de l’entreprise ;
  • La simplification des procédures de gestion financière qui sont généralement concentrées notamment celles liées au contrôle local des dépenses ;
  • L’activation du système intégré de gestion des revenus ;
  • L’activation de la mise en place du Fonds de solidarité entre les régions ;
  • L’accélération du traitement des fichiers partagés entre les agences publiques régionales et les intérêts décentralisés ;
  • La simplification et l’assouplissement des procédures liées à la présentation des pétitions ; l’élargissement des mécanismes de consultation pour inclure les chambres professionnelles ; le renforcement des capacités de participation des citoyens et de la société civile en matière territoriale ;
  • Le renforcement de l’attractivité de la fonction publique territoriale ; l’activation de la publication de la loi relative au statut des ressources humaines pour les collectivités territoriales ; l’incorporation des cadres des administrations territoriales dans le décret organisant la formation continue ;
  • La promotion l’informatisation et de la numérisation de l’administration régionale ;
  • La construction d’un système régional d’information géographique en partenariat avec les administrations et les institutions publiques ;
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Administrateur du site

2 Commentaires

  1. un article pertinent
    merci

    de la part de M. ACHRAF SAMY
    expert en développoment des territoires
    ex-caïd du ministère de l’Intérieur

  2. Je crois que concernant le 4 eme défit Le défi de l’opérationnalisation de la charte de déconcentration et non de décentralisation décentralisation
    bravo

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