Mustapha BRAHMA : L’Arganeraie patrimoine menacée

1.     L’Arganeraie patrimoine communautaire

 

L’Arganeraie est un patrimoine communautaire. C’est un espace dans lequel s’est formé des institutions tel que la « jmâa », chargée de la gestion de la communauté ancestrale, fondé surle « orf » droit coutumier où il n’existe pas de propriété au sens romain (c’est-à-dire : user et abuser du bien), mais il existe un droit d’usage qui s’étend à l’Arganeraie. Le « orf » régie les institutions et pratiques dans l’aire de prédilection de l’Arganeraie, dont la pratique de l’ « agdal », consiste à la mise en défend d’une zone pour la régénération de l’arganier et des plantes de sous-bois l‘agdal, qui est un édifice fortifié servant de magasins pour les produits de consommation, des semences, des armes et desbijoux,etégalementunlieupourlestransactions,tellesquelesventessurlesfuturesrécoltes.

Les souks hebdomadaires, les plus importants dans le col, les moussems sont un des lieux d’approvisionnement, de transaction, d’échange de nouvelles, de règlement de conflit, et également de joie, de divertissement avec des poèmes et des danses qui raffermissent les liens de la communauté.

1.1.  L’Arganeraie avant le protectorat : lasymbiose

Avant le protectorat, une sorte de symbiose régnait entre l’Arganeraie et les usufruitiers.La ressource était relativement protégée, car les riverains savaient que leur survie en dépendait. Cet équilibre fragile, était régi par l’organisation tribale, et réglementé par le droit coutumier. Cependant, il a été perturbé à travers l’histoire, notamment par l’industrie du sucre au XIIémesiècle.Ce système agro-Sylvio-pastoral joue des rôles socio-économique et écologique.

En effet, c’est un écosystème forestier, basé sur l’interaction entre l’arganier et les caprins. Les caprins trouvent leur alimentation dans le couvert végétal, dans les feuillages et branches, dans la pulpe des fruits de l’arganier. Les troncs crénelés de l’arganier permettent auxcaprins de grimper pour chercher les feuillages des cimes.

Les caprins, quant à eux, permettent la dissémination des graines dans l’Arganeraie, la revitalisation de l’arganier par leur rejet qui sert de fumier, le désherbage autour de l’arbre et la taille de l’arbre.

L’écosystème est aussi socio-économique car l’Arganeraie sert de pâturage pour les caprins. Des fruits de l’arganier est extraite une huile qui sert pour l’alimentation, l’éclairage, la médicationtraditionnelle et l’utilisation cosmétique.

Tous les produits issus de l’extraction de l’huile d’argan, sont réutilisés les pulpes pour compléments d’alimentation pour les caprins, les coques des noix pour la combustion, les tourteaux issus de la meunerie, malaxage et pression, sont utilisés pour l’engraissement des ovins. Les branches mortes sont utilisées pour la cuisson des aliments, la chauffe et comme bois d’œuvre.

C’est également un écosystème écologique puisque l’arganier permet l’adoucissement du climat, la fixation du sol par ses racines robustes qui traversent presque toutes lesformations géologiques et qui cherchent l’eau jusqu’à la nappe phréatique. Il permet de lutter contre l’érosionéolienneen s’érigeant comme barrière contre le vent et l’avancée du désert. Par son ombre dense, l’arganier protège le sol contre la dessiccation, qui peut conduire à sa déminéralisation.

1.2.  L’arganier après le protectorat : laprédation

Deux événements majeurs vont rompre cet équilibre séculaire et cette symbiose entre l’Arganeraie et ses habitants, et vont changer le comportement de préservation et protection de l’Arganeraie,en un comportement de prédation vis-à-vis de l’arganier.

D’une part, les usufruitiers ne sentent pas l’obligation de préserver un bien qui n’est plus les leurs. De l’autre, les investisseurs agricoles se sont rués sur la zone, dans le but de pratiquer une culture intensive destinée à l’exportation.

Le premier événement marquant cette rupture a été la déclaration en 1917, de la domanialitéde la forêt. Le deuxième événement a été, après l’indépendance, l’avènement de politiques publiques, qui encourageaient les cultures intensives destinées à l’exportation.

Néanmoins, devant le mécontentement des populations riveraines, et de peur qu’elles se rallient à la résistance, encore vivace dans la montagne. L’administration coloniale a concédé en 1925, des droits d’usufruit, pratiquement semblables à ceux dont elles jouissaient avant, notamment la culturesous arbres, la cueillette des fruits, le parcours des troupeaux, le ramassage de bois mort, la coupe du bois de chauffage, de charbonnage et de services, la coupe des branches pour clôture, et l’extraction de la terre, sable et pierres.

Cependant, l’équilibre de l’Arganeraie sera par la suite, largement affecté, sous l’effet des changements climatiques, mais surtout à cause des activités socioéconomiques suivantes :

  • Lesurpâturage,sousl’effetdelacroissancedémographique,lestroupeauxse sontmultipliés. Dans la plaine, le défrichement pour les cultures intensives a intensifié la pression sur le reste.
  • Le défrichement, en particulier, dans les plaines pour la pratique des cultures intensives destinées à l’exportation, le développement des cultures fourrage pour l’élevage en stabulation.

  • La transhumance, surtout des camelins des grands propriétaires venus du Sahara, en rupture avec les traditions ancestrales en la matière, régies par des codes et conventions.
  • Le ramassage quasi total des fruits de l’arganier, avec le développement de la filière d’argan, la marchandisation de l’huile d’argan, qui a conduit à l’augmentation de son prix.
  • L’urbanisation de plus en plus grandissante, via l’exode rural et les activités agricoles, de pêche et de tourisme, surtout à Agadir.

2.     Prospective de protection et valorisation de l’Arganeraie

 

La protection et la valorisation de l’Arganeraie est à la base de la déclaration par l’UNESCO de l’Arganeraie comme première réserve de biosphère (RBA) au Maroc. L’objectif étant de concilier la conservation du système socioéconomique et écologique, tout en permettant le développement économique de la région.

2.1.La durabilité del’Arganeraie.

Le développement durable est défini par les Nations Unies comme « développement qui satisfait nos besoins sans compromettre les besoins des générations futures ».

Cependant, la création de la filière d’argan pour la marchandisation de l’huile d’argan, n’a faitqu’augmenter démesurément son prix et son exportation pour des usages cosmétiques. Ce succès a attiré des industriels implantés à Casablanca et Marrakech, des intermédiaires, au détriment des coopératives locales des femmes et des ayants-droit, qui devaient bénéficier decette marchandisation.La création du label IGP (indicateur géographique protégé) n’a fait qu’aggraver la situation.

En réalité, il semble que l’engouement pour l’huile d’argan a accentué la pression sur l’Arganeraie, à tel point que presque la totalité des fruits sont cueillis. La régénération de l’Arganeraie est, en conséquence, compromise.

Dans le but d’un aménagement du territoire intégré et intégrateur, il faudra s’attaquer aux principales raisons de la dégradation de l’Arganeraie, à savoir, la domanialité et la marchandisation à outrance de l’huile d’argan.

Les mesures à prendre pourraient être :

  1. L’autogestion de l’Arganeraie par lesayants-droit ;

Il est peut être difficile de revenir sur la domanialité de l’Arganeraie, mais il est possible de confier son autogestion aux ayants-droit, quitte à restaurer le système de la communauté, « jmâa », en ce qui concerne l’Arganeraie, tout en restant sous la tutelle de l’administration des eaux et forêts.

  1. Le développement d’une économie sociale etsolidaire.

L’objectif est de restituer l’huile d’argan sa valeur d’usage, sa valeur utilitaire et atténuer sa valeur marchande, à travers l’économie circulaire qui est définie comme « l’ensemble des activitéscontribuant à la démocratisation de l’économie à partir d’engagements citoyens ». Dans le cadre de ce concept, peuvent être développés :

  • L’entreprenariatsocial:quiconcilielesaspectséconomiques,sociaux etenvironnementaux, et qui peut supplanter les entreprises qui s’inscrivent dans l’économienéolibérale ;
  • Le paiement de services éco-systémique : le paiement de chaque acteur économique,public et privé pour son atteinte à l’écosystèmeagro-Sylvio-postural ;
  • Ledéveloppement decoopérativesréellementbaséessurl’entraidepourla productionetla commercialisation de l’huile d’argan sur recours auxintermédiaires ;
  • Le développement d’un vrai IGP argan : le cahier de charge doit interdire le gaulage dans la cueillette des fruits, l’interdiction de l’exportation des amandes, de l’huile en vrac, et œuvrer pour sa reconnaissance à l’international, concassage manuel, interdire l’extraction et le conditionnement de l’huile d’argan en dehors de l’aire de l’Arganeraie et l’obligation du concassage manuel…

2.2.Une nouvelle politiqueagricole

Le Maroc n’a jamais été un pays foncièrement agricole. C’est un héritage du colonialisme.En effet, la pénétration coloniale cherchait au Maroc des produits agricoles .Ce qui était recherché était le développement de l’agriculture par les colons qui se sont appropriés les meilleures terres, ainsi que les produits miniers, notamment les phosphates qui servaient également pour le développement de l’agriculture.

Le développement industriel du Maroc n’a jamais été envisagé par le pouvoir colonial, sauf de façon éphémère avant la deuxième guerre mondiale lorsqu’il a été question d’implanter des unités industrielles, en cas de repli stratégique sur le Maroc en cas de guerre.

Le Maroc doit donc axer son développement avant tout sur l’industrie. Quant à l’agriculture, il doit subvenir d’abord aux besoins du pays en produit de première nécessité : blé, sucre, lait, fruits, légumes et agrumes. Et enfin, les cultures doivent être les moins consommatrices en eau.

Etant donné que le Maroc n’a jamais connu une quelconque réforme agraire, celle-ci s’impose où une redistribution des terres est nécessaire, ainsi qu’une définition d’un plafond pour la propriété des terres bours et des terres irriguées.

En ce qui concerne l’Arganeraie, elle doit être restaurée dans tous les domaines publics forestiers, ou au moins les restaurer les domaines l’arganier sous forme de verger.

Aujourd’hui, le génome de l’arganier est décrypté et six spécimens ont été sélectionnés pour la domestication de l’arganier.

En conclusion, l’Arganeraie, l’eau, sont des ressources naturelles limitées, elles doivent donc être gardées comme bien commun. Toute appropriation privative doit être sévèrement sanctionnée. Leur exploitation, doit ainsi obéir aux critères de durabilité, d’équité et de responsabilité.

Par Mustapha BRAHMA

Doctorant-Chercheur

Institut National D’Aménagement et D’Urbanisme

Laboratoire : Gestion des Risques et Développement Territorial

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