Maroc : ‘’les porteurs du Coran’’ devant le parlement… Des imams en action

La diversité culturelle et religieuse qui marque la société marocaine conduit à s’interroger sur les formes de religiosités des Marocains (islam officiel, islam populaire, soufisme, maraboutisme,  islam politique, islam de proximité,…). La monarchie marocaine, se saisissant de la question de la reconstitution du champ religieux, vise à lui donner une identité étatique. En somme, il s’agit d’une volonté de réorganiser le champ religieux au Maroc sur deux grands axes : institutionnel par la création d’instances, et éducatif  par la requalification des acteurs religieux. A ce premier objectif, s’ajoutent d’autres plus médiatiques (chaînes de télévision, radios, journaux…) et idéologiques telle que la propagande officielle de l’universalité du modèle de l’ « islam marocain ».

Il s’agit d’une réorganisation, politiquement motivée, pour assurer le contrôle de la religiosité, de sauvegarder l’homogénéité religieuse de la société marocaine et de s’armer contre l’influence des doctrines concurrentes, à savoir le wahhabisme et d’autres composantes rigoristes de la Salafiya. Dans le même cadre de concurrence, la place capitale accordée au soufisme et au culte des saints témoigne. En effet, depuis le début des années 2000, la nouvelle politique de consolidation du champ religieux vise d’une part à renforcer une unité doctrinale tripartite basée sur un rite malikite, une doctrine ach‘arite et un soufisme composite[1], et d’autre part à contrecarrer l’influence des doctrines politico-religieuses concurrentes, notamment celle du wahhabisme et de différentes composantes de ce que l’on nomme « islam politique ». Dans ces nouvelles reformulations du politico-religieux, le soufisme, sous différentes expressions, surtout confrériques et « maraboutiques », prend une place centrale. Une vision qu’exprime, de manière intellectuelle et officielle, le ministre Ahmed Toufiq (2009) :

« Nous assistons aujourd’hui, auprès du grand public et même chez des intellectuels à une demande de savoir, curiosité positive à l’égard du soufisme comme alternative au rigorisme religieux réductionniste et aux lectures trop sèches des textes fondamentaux. Car le soufisme est la dimension la plus profonde d’une religion, l’islam, et il est bien autre chose qu’un mysticisme aspirant à un universalisme syncrétique[2]. »

 Outre la désignation, en 2002, de cet adepte de la confrérie Bouchichiya en tant que ministre des Habous et des affaires islamiques, la première édition de la rencontre mondiale du soufisme, tenue en 2004 au mausolée de Sidi Chikr[3], a réaffirmé le rôle important que jouent les croyances et les pratiques soufies dans cette nouvelle restructuration du champ religieux. Se référant à l’ancrage historique et culturel de telles croyances, le message royal adressé, pour l’occasion, aux conférenciers et aux participants, a rappelé le rôle décisif du soufisme dans l’histoire du pays et de son avenir, pour ainsi dire domestiquer les tentations mondaines et politiques des citoyens. Donc, les pratiques et les croyances soufies sont appelées à délivrer « les esprits des velléités de quêtes indues du pouvoir » et pour renforcer, en même temps, les bases culturelles de la légitimité politico-religieuse de la monarchie[4] (Rhani et Hlaoua, 2014)[5].

Tozy, en réaction à l’établissement de cette nouvelle politique religieuse affirme que :

 « C’est, en effet, cet islam historique. C’est ce que les marocains ont pris de cet islam. Ils ont pris le soufisme et le maraboutisme qui est aussi l’un des patrimoines importants, un islam de médiation ; ils ont aussi un islam gai, un islam de gaieté et de musique (samâ) et beaucoup de choses. Maintenant, ce que l’Etat peut en faire, ce n’est pas l’institutionaliser. Si vous l’institutionalisez, il est mort. L’islam marocain ne peut être institutionalisé. »[6]

Il s’agit d’une rationalité étatique qui se confronte à d’autres enjeux à travers la présence de différents acteurs. Parmi ces acteurs, les imams et préposés religieux réagissent à cette politique étatique généralisée. Au cours des années 2012 et 2013, des conflits ont vus le jour entre le ministère des Habous et des Affaires islamiques et les imams et préposés religieux[7]. Les causes de ce conflit ont un caractère économique et social, les préposés religieux se plaignent de l’indifférence du ministère à leurs égard et de l’injustice qu’ils subissent quotidiennement, alors que le ministère rappelle la mise en place d’un arsenal de mesures pour améliorer le statut social et la situation économique de cette catégorie des acteurs religieux. Des manifestations et des sit-in sont apparues sur l’ensemble du territoire  marocain, une centralisation de manifestations appelée par la coordination de osrat almasajid (groupe des imams non reconnus par le ministère des Habous et des affaires islamiques) devant le parlement marocain à Rabat en 2012.

Le présent texte est issu d’une observation ethnographique de courte durée. Le 13 mai 2012, descendant du train à Rabat-ville en provenance de Meknès, j’ai observé des hommes d’un certain âge en train de courir en tous sens, vêtus de djellabas blanches, de tuniques, de bonnets et de babouches de couleur blanche et jaunes. La plupart d’entre eux portaient la barbe, tenaient le Coran à main et scandaient « nous sommes victimes de la nouvelle politique religieuse ». En fait, il s’agissait d’une manifestation d’imams et préposés religieux qui avaient lieu devant le parlement marocain ce jour-là, les forces de l’ordre venaient d’intervenir pour disperser les imams violemment. De premières manifestations avaient eu lieu le 24 avril et le 21 juin 2011, à Rabat, devant le parlement, manifestations aux slogans et pancartes portant sur les droits des imams.

Ces manifestations répétitives des religieux sont jugées inédites par l’opinion public. L’occupation de l’esplanade du parlement par les imams est un nouveau mouvement au Maroc. Les Rabatis ont l’habitude d’y croiser les contestations des diplômés chômeurs, des syndicats, des partis politiques et des associations de la société civile.

L’esplanade en face du parlement est un lieu de promenade, de passage quotidien, le soir des familles s’y installent pour profiter de la vue offerte sur le Boulevard Mohamed V et de la médina. Le caractère ouvert de ce lieu et son statut symbolique et politique, institution « représentative de la nation », en fait un lieu privilégié de contestation, mais aussi de soutien des causes nationales, régionales ou locales. Spatialement, la place dite « place du parlement » n’est pas réellement une place urbaine, elle permet une certaine liberté de mobilisation et de rassemblement simples et visibles. La délimitation de l’espace me paraît importante, la localisation des actions des acteurs et le rapport de force décisif représenté par l’occupation de l’espace. Peu familiers du lieu, les imams après avoir été dispersés par les forces de l’ordre, se sont désolidarisés. Ils couraient difficilement dans leurs djellabas et leurs babouches et ne savaient manifestement pas où se réfugier. Plus tard, ils ont, tout de même, réussi à se regrouper en scandant leurs revendications à l’aide de mégaphones.

 Manifestation devant le parlement à Rabat, photographie tirée Maroc Hebdo international (2012)

Manifestation devant le parlement à Rabat, p hotographie tirée Maroc Hebdo international (2012)
Manifestation devant le parlement à Rabat, p hotographie tirée Maroc Hebdo international (2012)

Les revendications sociales des imams

Cette catégorie sociale, les imams, porte ses revendications devant le ministère des Habous et des Affaires islamiques. Ils brandissaient même des pancartes « Dégage! » rappelant les slogans de printemps des peuples des Machrek et du Maghreb. La première revendication est d’ordre sociale et économique, les imams perçoivent entre 800 et 1400 dirhams par mois et affirment vivre en dessous du seuil de pauvreté. En janvier 2012, leur ministre, Ahmed Toufiq, a promis d’augmenter les salaires de 300 dirhams, cette augmentation est jugée « dérisoire » par les religieux. Une banderole affichait une revendication principale « Les imams des mosquées réclament leurs liberté, dignité, justice, plein droits ».

A l’occasion d’un échange avec un imam manifestant, celui m’expliquait qu’il avait des difficultés à acheter une nouvelle tenue vestimentaire pour prêcher bien, que ce soit une condition exigée par le ministère. Une  visite sur le site du ministère me permet de vérifier cette information, dans le chapitre « La correction de la tenue vestimentaire », on peut lire : « La tenue vestimentaire de l’imam, le jour du vendredi, est spéciale, elle joue un grand rôle dans la réussite du sermon. Le sermonnaire constitue la cible des regards de l’auditoire. Le sermonnaire est tenu d’adopter le vêtement marocain traditionnel, la djellaba et les burnous locaux, tous deux de couleur blanche »[8].

D’autres manifestants m’ont confié « on a demandé à nos proches de nous prêter l’argent pour acheter les billets de train pour venir manifester pacifiquement à Rabat et faire entendre notre voix, et vous voyez la réponse agressive de la police, la matraque ! Quelle honte ! nous sommes les porteurs du saint Coran !».

Les imams et préposés religieux ont créés un organisme nommé la « Ligue Nationale des Imams des Mosquées »[9], organisme non reconnu par le ministère des Habous et des Affaires islamiques. L’objectif de l’organisme est de permettre aux imams de s’organiser pour défendre leurs droits. Cet organisme mène des sit-in et des manifestations nationales et locales depuis deux années, Dernièrement un grand rassemblement régional a eu lieu à Ouarzazate,

 Photographie tirée de Vie économique, 03/11/2011

imams et préposés religieux - Photographie tirée de Vie économique, 03/11/2011
imams et préposés religieux – Photographie tirée de Vie économique, 03/11/2011

  Des revendications éthiques et démocratiques

Les revendications économiques malgré leur importance ne sont pas les seules préoccupations des préposés religieux. Le guide de l’imam, du prédicateur et de sermonnaire, paru en 2007 aux éditions des ministères des Habous et des Affaires islamiques, est très contesté par les imams manifestants. L’ouvrage est entièrement consacré à l’exposé des fondements et des règles pratiques concernant les imams, les sermonnaires et des prédicateurs. « Défendre l’authenticité de la religiosité marocaine à savoir la doctrine ash’arite, le rite mâlikite et le soufisme. », la première directive ne plaît pas à une majorité des imams selon leurs déclarations[10]. Cette partie des religieux n’est pas prête à défendre le soufisme et encore moins à adhérer à l’appel du ministère « revenir au culte des saints »[11]. Concernant cet appel, il est important de souligner qu’il n’a pas été validé par le Haut conseil scientifique des Ouléma. Les imams exploitent cette divergence entre les deux institutions officielles à savoir le ministère desHabous et des Affaires islamiques et le Haut conseil scientifique du Ouléma pour justifier leur révolte et leur refus d’appliquer les consignes.

La directive la plus contestée est l’interdiction aux imams et préposés religieux d’intervenir dans le monde politique et d’accorder des interviews et des entretiens à la presse nationale ou internationale. Selon eux, il s’agit d’une privation de la liberté d’expression. Paradoxalement malgré ce devoir de réserve, le ministère a obligé tous les imams, prédicateurs et sermonnaires du royaume à mener la campagne pour le « oui à la constitution » de juillet 2011 et à diaboliser le mouvement de contestation du 20 février. Et les religieux qui ont refusé d’appliquer cette directive ont perdu leur travail, expliquent les manifestants. Ces dernières années, de nombreux imams se sentent proches des associations des droits de l’homme. Une conférence de presse a été organisée dernièrement à Rabat par l’association marocaine des droits de l’homme intitulée « le drame des professeurs de l’enseignement traditionnel licenciés et les souffrances des préposés religieux » avec la participation de représentants des imams, ce fait montre que les préposés religieux commencent à avoir une place dans les structures de la société civile. 

En 2009, le ministère a adressé une circulaire relative au recrutement et la cessation de contrat de travail des imams et préposés religieux. L’application de ce décret a causé la mise à terme de centaines de contrats de travail des imams, les imams en colère avancent le chiffre du 946 imams révoqués[12] et expliquent que des audiences contre la mise à fin de contrat de travail sont en cours dans les tribunaux du royaume[13]. Il suffit à ce passage de rappeler le cas de l’imam “rebel” de l’orient Abdellah Nhari qui s’est vu interdire de prêcher dans toutes les mosquées du royaume, imam jugé dérangeant et politisé. A cette occasion, il est très intéressant de mentionner que le domaine de la fatwa est désormais contrôlé par une instance officielle. Le ministre des Habous et des affaires islamiques. Le lundi 30 avril 2012, Ahmed Toufiq a souligné que toute fatwa qui n’est pas émise par l’institution concernée, le Conseil supérieur des Oulémas, n’est qu’une simple opinion. La fatwa « ne devrait en aucun cas être émise en dehors du cadre de l’institution qu’il s’agisse de personnes ou de groupes » a-t-il insisté, précisant qu’il ne faut accorder aucun intérêt à une fatwa émanant des personnes.

Les imams se sont vus interdits d’exercer, ils ne pouvaient plus donner des prêches dans les mosquées. Ce fait représente un point de conflit entre les préposés religieux et le ministère du Habous et des Affaires islamiques, Redouane Ben Chakroune, président du conseil scientifique à Ain-Chouk à Casablanca, Moustapha Kassir à Casablanca, Rachid Nafie à Rabat, sont écartés des mosquées pour non respect du guide de l’imam entre autre. Le ministère a accordé une grande marge de liberté aux mûrchid (conseillers)pour contrôler tout les préposés religieux dans le cadre du même décret. Les imams ont dénoncé la corruption et le clientélisme de ces conseillers, ces derniers menacent tout préposé religieux qui ne respecte pas les directives et les orientations politico-religieuses du ministère.

Les préposés religieux ne sont pas seulement victimes de la politique du ministère, mais aussi dépendants de la volonté des responsables des associations des mosquées. En effet, une grande partie des mosquées au Maroc est gérée par ces associations qui ont la responsabilité du recrutement et de la cessation de contrat de travail d’un imam en accord avec le ministère. L’imam doit obéir aux responsables des associations, quelques fois l’imam est pris en otage dans les conflits internes des membres des associations. Deux lignes doctrinales contradictoires partagent la majorité de ces membres d’association, le salafisme et le soufisme. L’imam peut se trouver sous la pression ou la protection  des membres selon leurs appartenances idéologiques[14].

Une autre contrainte vient de s’ajouter aux difficultés de cette catégorie sociale, l’imam ne doit pas dépassé l’âge de 45 ans pour avoir un poste d’’imamat et il doit accepter la zone géographique de la nomination. 

Selon les chiffres des ministères des Habous et des Affaires islamiques, le Maroc compte environ  50 000 mosquées et plus de 55 082 imams et prédicateurs[15]. Une partie des imams, prédicateurs, sermonnaires et préposés religieux n’est pas attachée au ministère, leurs rémunérations dépend des dons de mécènes et d’autres activités exercées souvent de façon informelle tels que le commerce et l’agriculture. Ce corps des proposés religieux n’a pas la possibilité de s’organiser en syndicats pour défendre ses droits. Pour détourner cette interdiction, ils ont recours à l’utilisation des réseaux sociaux par internet pour mieux diffuser leur combat et faciliter la communication entre eux. On trouve plusieurs compte sur Facebook, « La campagne nationale de revendications pour les droits de l’imam », « Les imams des mosquées pour nos droits », « Association des préposés religieux au Maroc », »Les imams des mosquées au Maroc”, par exemple. Cette utilisation accrue de la toile montre à quel point l’image de l’imam traditionnel est loin et qu’une modernisation accélérée a touché ce secteur souvent méconnu de notre société. Il existe, désormais, des organisations représentatives des préposés religieux dans tout le Maroc, mais elles ne sont pas reconnues par les ministères des Habous et des Affaires islamiques et de l’Intérieur. De plus, un vieil accord de coopération existe entre les deux ministères permettant de contrôler les acteurs religieux ainsi que les Oulémas. Cet accord a été réactivé et mis à jour après les attentats du 16 mai 2003, aujourd’hui un casier judiciaire est demandé à un imam souhaitant intégrer une mosquée et son dossier de candidature est examiné par la police. Les imams demandent l’indépendance de leur ministère avec celui de l’intérieur.    

Photographie, A. Sanna,  AFP

imame - Photographie, A. Sanna,  AFP
imame – Photographie, A. Sanna, AFP

Les imams se sont vus interdits de s’écarter du texte de prêches du vendredi qu’ils reçoivent du ministère, alors qu’ils revendiquent de rédiger eux-mêmes leurs prêches selon les évènements et les besoins de leurs régions d’exercices respectives. Ils demandent donc plus de liberté de gestion des affaires de la mosquée y compris le droit d’accorder des consultations et avis de jurisprudences au public. Les imams promettent de manifester les mois à venir si le ministère n’ouvre pas ses portes à la négociation. Le président de la Rabita (ligue) des imams des mosquées Mohamed Samir lance un avertissement en disant que « le dossier des préposés religieux est une bombe, nous souhaitons le régler avant qu’elle n’explose en détruisant la sécurité spirituelle et la stabilité sociale du royaume »[16].

 Des figures d’inégalité      

Le ministère des Habous et des Affaires islamiques est parmi les ministères les plus riches du royaume, non seulement grâce à son budget annuel élevé[17], mais également du fait qu’il est propriétaire de nombreux biens terriens et immobiliers destinés à la location. Ainsi le ministre

avait, lors d’une interview pour le quotidien Le Matin le 30 juin 2010, évoqué 200 000 hectares de terrain et 46 000 locaux commerciaux. Il n’avait pas évoqué les immeubles et les autres éléments fonciers. Le gouvernement a augmenté les indemnités des oulémas membres du Conseil supérieur et des conseils locaux et des prédicateurs qui partent en Europe, pendant le Ramadan. A cette augmentation s’ajoutent les frais de déplacements et d’hébergement. Pendant le mois de Ramadan, une centaine des prêcheurs partent en Europe pour prêcher l’islam officiel. Le ministre, Ahmed Taoufiq, a accordé une hausse des indemnités mensuelles des missions des oulémas. Elle est répartie de telle sorte que les présidents des conseils locaux auront 13 000 dh par mois contre         10 000 l’année précédente. Les membres du Conseil supérieur n’auront quant à eux que 5 000 dh au lieu de 3 000 dh. Les hauts fonctionnaires du ministère bénéficient de nombreux avantages (logement, transport, voyage, pèlerinage à la Mecque, etc.), les employés de la radio et télévision spécialisées dans la diffusion des programmes religieux sont également bénéficiaires de ces avantages[18]. Exclus de ces augmentations et de ces privilèges, les préposés aux mosquées, dont les imams, continuent à vivre dans la précarité et le besoin.

 Les réactions du ministère des Habous

 Le 28 mai 2012, le ministre Ahmed Toufiq a affirmé, lors de la séance des questions orales à la  chambre des représentants, que « la situation des imams des mosquées compte parmi les questions majeures qui relèvent de l’encadrement religieux au Maroc ». Il a insisté sur l’augmentation de la dotation financière allouée aux imams des mosquées, passée de 60 millions de dirhams en 2004 à 740 millions en 2012, soit une augmentation de 1130%[19].

 Le ministre déclare, dans la même séance, que les imams ont des statuts différents, les imams des mosquées qui ne bénéficient pas de la chart[20] perçoivent une allocation mensuelle de 1400 dirhams, ceux qui exercent les deux fonctions d’imamat et du prêche reçoivent une indemnité mensuelle de 2300 dirhams, ceux qui bénéficient du chart perçoivent une dotation mensuelle de 1100 dirhams ou de 2300 dirhams pour tout imam faisant également office de prêcheur. Le ministre a ajouté que les imams des mosquées bénéficient des prestations de la « Fondation Mohamed VI pour la Promotion des Oeuvres Sociales des Préposés Religieux » ayant pour objectif l’amélioration des conditions sociales des imams et de leurs familles, dont leur couverture médicale.

 Manifestation des imams, p
hotographie tirée d’un site de rassemblement d’imams, www.osratalmasajid.com

Manifestation des imams, p hotographie tirée d’un site de rassemblement d’imams, www.osratalmasajid.com
Manifestation des imams, p hotographie tirée d’un site de rassemblement d’imams, www.osratalmasajid.com

Dans tout ses discours, le ministre des Habous et Affaires islamiques laisse entendre que l’imam est le représentant de l’imam suprême, Commandeur du Croyants, et que l’imam doit respecter les choix et les règles de l’islam d’Etat telles qu’elles sont prescrites par le Roi. Le fait que cette catégorie sociale souhaite s’auto-organiser en syndicats ou associations indépendante montre qu’elle n’est plus seulement sous le haut patronage du Roi. L’Etat considère les préposés religieux comme une réserve importante pour défendre ses doctrines politico-religieuses, le sermon du vendredi unifié et imposé par le ministère du Habousdans toutes les mosquées du royaume montre à quel point l’imam doit appliquer littéralement, sans ajout, les consignes et les directives données par la hiérarchie. 

Depuis le début des grandes opérations de reconstitution du champ religieux au Maroc, à l’arrivée à la tête du ministère Ahmed Toufiq en 2002, un bras de fer est engagé entre le ministère et quelques groupes d’imams. En fait, l’ex-ministre El-Mdaghri, était un proche des salafistes et durant son mandat, une génération d’imams, prêcheurs et sermonnaires plus au moins proches de sa ligne doctrinale a été formée. Le nouveau ministre, Ahmed Toufiq, est un célèbre disciple de la zâwiya Qadiriya Boutchichiya, bien que la zâwiya ait déclaré à plusieurs reprises l’importance de distinguer Toufiq le ministre de Toufiq le disciple[21], les imams en colère accusent ce dernier de vouloir annexer le ministère aux zâwiya soufies[22]

Le département des affaires islamiques a mis en place depuis 2005 un programme de formation, de qualification et de remise à niveau des imams. Dans le cadre de cette même opération de qualification, le ministre a expliqué, qu’il s’agit de « sensibiliser les imams au cadre doctrinal qui gouverne leur action, de leur permettre de remplir leur rôle pour conforter les mosquées dans leur vocation en tant que lieux d’orientation religieuse et de diffusion de la pensée religieuse authentique, de renforcer leur présence en matière d’encadrement et de guidance vers le droit chemin en s’inspirant des principes du Fiqh Attayssir, et de favoriser un climat de communication et d’échange avec les ouléma »[23].

Cette initiative a permis aux bénéficiaires du programme de devenir des formateurs, d’obtenir un statut proche de celui des fonctionnaires qui leurs garantit des droits minimes. En 2013, la neuvième promotion de cette catégorie des imams est formée. Cette opération de formation inédite des imams nécessite un budget annuel de 125 millions de dirhams et est prévue pour les 44600 imams que compte le Royaume, encadrés par 1426 Oulémas[24].

Sur le site internet officiel du ministère, la mise ne place d’une stratégie globale très ambitieuse est présentée pour améliorer la situation. Parmi les principaux jalons de cette stratégie, figurent le développement du discours religieux, la qualification des acteurs du champ religieux, l’intégration des établissements de l’enseignement traditionnel dans le système éducatif,  la contribution aux efforts nationaux en matière de lutte contre l’analphabétisme, le rehaussement des lieux de culte, de leur gestion et l’amélioration de la situation de ses préposés ainsi que le développement de l’institution des habous,  de sa rationalisation, de sa gestion et la qualification de ses ressources humaines[25].

Le gouvernement a alloué une enveloppe budgétaire additionnelle  pour l’année 2011 de 500 millions de DH relative à l’opération de contrôle et d’expertise technique  des mosquées.
Pour ce qui est de l’amélioration des conditions des préposés religieux, une enveloppe budgétaire de 611 millions de DH a été allouée aux rétributions supplémentaires des imams. Le nombre des préposés bénéficiant de la couverture médicale a augmenté puisqu’il a atteint  190.042[26]

 Pour conclure, ce texte a mis en lumière les raisons de mécontentement de la catégorie des imams et préposés religieux dans un contexte marqué par la mise en place de la nouvelle constitution de 2011 et des nouvelles directives et lois relatives aux réformes religieuses. Notre attention est attirée par le fait que cette catégorie sociale manifeste dans l’espace public pour la première fois dans l’histoire du Maroc contemporain pour avancer des revendications d’ordre social, professionnel et démocratique.  Elle s’identifie comme le maillon faible de la chaîne des ressources humaines du puissant ministère des Habous et des affaires islamiques. Nous avons eu quelques échanges et entretiens avec les manifestants, imams et préposés religieux, devant le parlement, dans leurs propos, leur situation apparaît chaotique matériellement et humainement. De son côté le ministère de tutelle avance le fait que cette catégorie a bénéficié de plusieurs avantages, d’un programme et d’une stratégie globale d’évaluation et d’amélioration de leur situation matériellement, professionnellement et démocratiquement. Cette catégorie devrait être honorée d’être la « représentante de l’Imam suprême ».

 Abdelaziz Hlaoua.

Chercheur membre de l’équipe du Centre Jacques Berque. Rabat


[1] Voir, par exemple, l’interview de Mohamed Yassef, secrétaire général du Haut Conseil Scientifique des Ouléma du Maroc, dans le journal El Watan, n° 503, 24 janvier 2013. 

[2]  Il exprime cette opinion dans sa préface du livre de Zouanat (2009:9), 2009. Soufisme : quête de lumière.  Éditions Koutoubia.

[3] Voir www.sidishiker.com

[4] La monarchie, donc, a entamé une sorte de reconstitution du champ religieux et politique dans le pays et a réservé une partie considérable pour le renouvellement et l’intégration du soufisme contemporain dans sa politique globale de gestion du champ politico-religieux. On peut lire dans le message royal : « Les marocains ont bien intériorisé depuis l’avènement de l’islam, que l’essence de la religion consiste à purifier l’âme humaine de l’égoïsme, de la haine et de l’extrémisme, en se conformant aux bonnes mœurs et en s’élevant au-dessus des tentations qui avilissent le cœur et l’intelligence à travers la retenue et le contrôle de soi, dans une quête du couronnement spirituel connu sous le terme de soufisme ». Dans le même discours, le monarque réitère les trois actions normatives menées par les soufis marocains qui méritent d’être réactivées : le soutien au pouvoir politico-religieux, la délivrance des esprits des velléités de quête indue du pouvoir, la formation d’une élite de pionniers. Lettre Royale datée du 03 septembre 2004.

[5] Z. Rhani et A. Hlaoua, « Soufisme et culte des saints au Maroc », in B. Maréchal et F. Dassetto (coordonné par), Hamadcha du Maroc. Rituels musicaux mystiques et de possession, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2014: 17-30 /   Le n. ISBN du volume est: 978-2-87558-270-6

[6] Tozy.M, interview accordée au Magazine, Sezame, le 16/01/2007

[7] Préposé religieux est celui qui s’occupe de la préparation de la mosquée pour la prière, il peut être le muezzin dans quelques cas.

[8]    http://www.habous.net

[9]    http://www.osratalmasajid.com

[10]  http://www.osratalmasajid.com

[11]  Journal el-tajdid, le 13/09/2009, l’Etat encourage al-kubouriya(le culte des tombeaux). Voir aussi , El krifi Mohamed, lutter contre la kubouriya est une responsabilité de tous, le mossem de sidi Ali-Ben hamdouch comme exemple, Journal, Al-Sabil, N° 52, 16 avril 2009

[12]  Ce chiffre était inscrit sur une pancarte lors des manifestations devant le parlement

[13]  Dossier n° 2011/178 au tribunal administratif d’Agadir

[14]  Un communiqué signé par le délégué du ministère des Habous et des affaires islamiques, à Agadir, daté du 13 novembre 2013, annonce que l’imam et muezzine de la mosquée de souk el Had à Agadir, a été limogé de ses fonctions à cause d’un conflit l’opposant aux dirigeants de l’association qui gère les affaires de la mosquée. L’imam qui se dit soufi Tijani, a adressé une lettre au délégué expliquant les causes du conflit qui l’oppose à cette association d’obédience salafiste. 

[15]  www.habous.net

[16]  Mohamed Samir, « Les problèmes des imams sont aussi les problèmes de la nation » in www.ousratalmasajid.com

[17] Le budget du ministère des Habous et des affaires islamiques, au titre du projet de loi de finances 2013, s’élève à 3,41 milliards de dirhams (MMDH) contre environ 3,21 MMDH en 2012, soit une hausse de 6,32 pc.

[18] Le 03 mai 2006 : Publication dans le journal officiel du décret n° 2.05.1577 relatif à la rémunération allouée aux prédicateurs qui exercent dans les différentes provinces du Royaume.

[19] http://habous.gov.ma/fr/component/content/article/20-M.le%20ministre/712-toufiq-740-millions-de-dirhams-alloues-a-l-amelioration-de-la-situation-des-imams-des-mosquees.html

[20]  Chart : sorte de contrat de volontariat dans lequel l’imam travaille dans la mosquée et est payé par les mécènes et les fidèles selon leur générosité, ce statut fonctionne encore efficacement dans les campagnes et dans de rares villes.

[21]  Mountassir Hamada(2009), Nous et le soufisme, la Tariqa Qadiriya Boutchichiya comme exemple,Ed.Chourouk. Rabat. P.93

[22]  Kharbouch Abdelaziz, « Toufiq et sa relation avec les préposés religieux » in www.osratalmasajid.com

[23] http://habous.gov.ma/Présentation de Ahmed Toufiq au Souverain du Programme de Qualification des imams, janvier 2011

[24] Idem

[25] http://habous.gov.ma/fr/component/content/article/20-M.le%20ministre/1627-projet-du-budget-sectoriel-du-ministère-des-habous-et-des-affaires-islamiques-pour-l’année-2014.html

[26] Idem

A propos Abdelaziz Hlaoua 1 Article
Chercheur membre de l’équipe du Centre Jacques Berque. Rabat

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