Lehbib Kamal: Rendre effectif le rôle de la Société civile dans un nouveau modèle de développement

La société civile n’a eu de cesse depuis particulièrement les années 80, non seulement de dénoncer ce modèle, mais d’engager des pratiques alternatives au niveau local à ce modèle et plaider pour une nouvelle approche du développement. L’approche, la réflexion, les propositions de la société civile démocratique, riche d’une expérience pragmatique, non engagée dans les luttes de pouvoir, mais soucieuse de faire émerger un contre-pouvoir, a été une approche systémique qui intègre les valeurs de la démocratie, de la citoyenneté, de la justice sociale en mettant l’humain au centre des intérêts et des objectifs du développement. Le développement est d’abord humain, durable et équitable, et de ce fait il est indissociable de la mise en place d’un système politique démocratique. La société civile devrait dans la conception d’un nouveau modèle de développement, bénéficier d’un statut, d’un rôle et de fonctions claires. La Constitution de 2011 a consacré ce statut, le rôle et les fonctions de la société. Elle a érigé la société civile en tant que pouvoir investi du rôle de suivi et d’évaluation des politiques publiques et un acteur fondamentale dans l’émergence d’initiatives de développement et culture de la citoyenneté.

Le nouveau modèle de développement devrait reconfirmer,consacrer, renforcer les dispositions constitutionnelles. Celles-ci pour être en phase avec les objectifs déclarés ou souscrits par le Maroc dans les Conventions  internationales, nécessitent soit la révision soit l’adoption de nouvelles pratiques et approches de l’Etat ainsi que des mesures législatives pour assoir une véritable démocratie basée sur la séparation des pouvoirs et la reddition des comptes.

La société civile démocratique estime qu’il est impératif de :

  1. Respecter l’autonomie et l’indépendance de la société civile. L’Etat doit se départir de sa suspicion vis-à-vis d’une société civile critique. L’Etat devrait changer de perception et de pratiques àl’égard de la société civile : ces pratiques sont marquées durant ces 50 dernières années, avec des moments d’éclaircies, par les velléités de l’Etat à la cooptation ou la répression. L’Etat ne respecte pas l’Article 5 de la Loi sur les associations en refusant de remettre « immédiatement » le récépissé de constitution ou de renouvellent des instances d’une association.
  2. Réviser la loi sur les associations dont certaines dispositions sont devenues obsolètes et prévoir, dans un débat national, une refonte de la loi sur les associations, sur le droit d’accès aux financements et des mesures permettant leur renforcement institutionnel y compris dans la protection et la mobilisation des bénévoles. . Il ne saurait être question de restreindre les libertés publiques mais d’agir pour leur élargissement et leur respect en y intégrant des propositions pour la protection des travailleurs associatifs et sociaux, et combler les lacunes de la Loi 45-18 et instituer un cadre juridique et des mesures concrètes pour la protection des bénévoles par la mise en place d’une stratégie nationale visant le développement du bénévolat et la promotion du volontariat.
  3. Revoir de fond en comble la dimension financière et fiscale des associations: la contribution de l’Etat ne doit plus revêtir un caractère dérisoire et clientéliste et que les engagements internationaux en matière d’aide au développement ne sont respectés que par de rares Etats. Cela rend la bataille nécessaire pour le droit au financement public et international ainsi que pour son élargissement dans la transparence des procédures et des critères d’éligibilité et dans le respect des règles de gestion des biens publics. Des mesures fiscales et incitatives doivent être prises d’urgence, cela contribuera à élargir les possibilités d’action et contribuera, à non pas douter, à réduire si ce n’est éradiquer les tentations de contournement de lois injustes et non appropriées en matière fiscale.
  4. La liberté d’accès à l’espace public.Ce qui nécessite non seulement une révision de la Loi sur les rassemblements et les manifestations pacifiques qui restent une des formes d’expression de la société face à l’injustice, aux abus du pouvoir, mais aussi une véritable stratégie de l’Etat pour améliorer et développer les infrastructures de base(maisons de jeunes, centres d’accueil, accès aux lieux publics, colonies de vacances…)au vue de la situation de dénuement en matière d’infrastructures dans laquelle travaille l’écrasante majorité des associations, celles-ci sont appelées à faire pression sur l’Etat pour décliner et mettre en œuvre son plan d’investissement dans les infrastructures.
  5. Développer et mettre les moyens pour le renforcement des capacités : il devient urgent d’élaborer une stratégie et un programme cohérents, sans déperdition de fonds etd’efforts, pour la mise en œuvre d’un plan stratégique de formation de qualité des cadres associatifs et des travailleurs sociaux, tout en faisant bénéficier les associations du droit d’accès aux fonds de la taxe professionnelle versée par les employeurs (y compris associatifs).
  6. Avoir accès à l’information : Prévue par l’article 27 de la Constitution de 2011, la loi 31-13sur le droit d’accès à l’information promulguée le 22 février 2018 pour une entrée en vigueur le 12 mars 2019, devrait non seulement se conformer aux normes internationales en la matière, aux engagements du Maroc sur l’open government et permettre un accès libre et non conditionnel à l’information, mais en plus être effectif en obligeant les administrations publiques, les institutions élues et les organismes investis de service public à rendre accessible un certain nombre d’informations au citoyen, soit à la demande de ce dernier, soit en les publiant de manière proactive.
  7. Le droit de produire l’information par la reconnaissance des radios communautaires et/ou associatives. C’est dans les pays en voie développement que les radios communautaires sont les plus actives. Elles sont régulièrement interpellées par leurs gouvernements et les institutions internationales pour engager les communautés locales qu’elles représentent dans des programmes de développement, surtout dans des zones rurales ou au sein des populations urbaines marginalisées, et touchent des secteurs divers comme la santé, l’éducation, l’environnement, l’engagement civique et la démocratie locale.Les radios associatives- communautaires ne sont pas reconnues par le législateur qui ne leur a pas accordé de statut juridique lors du vote parlementaire de la loi 77.03 sur la communication audiovisuelle.La revendication de la société civile marocaine, pour la reconnaissance juridique et la promotion des radios associatives- communautaires date de 2011. Elle a été initiée par le Forum des Alternatives Maroc (FMAS) et portée par un millier d’associations implantées dans les 16 régions du Royaume. Elle capitalise toutes les initiatives antérieures en la matière notamment, la première conférence arabo – africaine de l’UNESCO et du gouvernement marocain, sur les radios communautaires, en 2007 à Rabat et le dialogue national sur les médias et la société qui a débuté en 2009.

Par ailleurs, La démocratie participative est aujourd’hui un fait constitutionnel conformément aux articles 12, 13, 14 et 15 de la Constitution de 2011. Le défi est de mettre en place un ensemble de dispositifs qui visent à assurer la participation des citoyens et des organisations de la société civile dans les processus décisionnels des politiques publiques. La démocratie participative, selon les normes dégagées par les expériences internationales, se manifeste dans différents champs de la société et à différents échelons du pouvoir : dans notre entourage quotidien, au niveau des localités, des régions, au niveau national et même international. Elle ne se substitue pas à la démocratie représentative, mais elle intervient de façon complémentaire et corrective. De ce fait, il est tout aussi impératif de :

  1. De prendre toutes les distances avec la conception d’une société civile « prestataire de services » commandés. Il s’agit de mettre en place des dispositifs participatifs qui favorisent le développement d’une culture civique et apporte une véritable valeur ajoutée à un projet ou à l’élaboration d’une politique publique car il génère un processus de coresponsabilité des citoyens et des élu(e)s. Dans cette démarche, les associations représentent un acteur incontournable dans les processus démocratiques, elles constituent un réel pouvoir indépendant qui jouit des droits à l’élaboration et l’évaluation des politiques publiques, tels que reconnus par la Constitution, et non un simple prestataire de services.
  2. De revoir de fond en comble les lois adoptées sur les mécanismes de la démocratie participative (Pétitions et initiative législative) et les renforcer par des mesures pour la mise en place du Budget Participatif
  3. Reconsidérer de manière radicale la démarche, la composition et les prérogatives des Commissions consultatives sur la jeunesse, sur la parité et sur le développement territorial de manière à permettre aux associations, non seulement d’accompagner les élus, mais de jouer pleinement le rôle que leur confère la Constitution
  4. Ouvrir le Parlement aux associations et intégrer dans le règlement intérieur la nécessité de la concertation et la participation des associations aux débats sur les projets de loi.
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