Contexte général
Au Maroc, des avancées sanitaires ont été réalisées avec essentiellement l’extension de la couverture sanitaire, l’amélioration de l’espérance de vie à la naissance qui a progressé de 78% passant de 42,9 ans en 1955 à 76,2 ans en 2017,la diminution de la mortalité. La mortalité infantile a baissé de 58‰ à 18‰ entre 1992 et 2018 et la mortalité maternelle est passée d’une moyenne de 332 décès entre 1985-1991 à 72,6 décès pour 100 000 naissances vivantes en 2017.[1]
Lors de la dernière réforme constitutionnelle de 2011, le droit à la santé est constamment mis au-devant de la scène et reconnu de manière explicite comme « droit constitutionnel » dans plusieurs articles : le droit à la vie (Article 20)-qui comprend également la lutte contre les mortalités évitables-, le droit à la sécurité et à la protection de la santé (Article 21), le droit aux soins, à un environnement sain, à la couverture médicale (Article 31), le droit à la santé des personnes et catégories à besoins spécifiques (Article 34), le droit d’accès à des soins de qualité et à la continuité des prestations (Article 154)[2]. Cette constitutionnalisation fournit une perspective très riche sur la responsabilité de l’Etat, des établissements publics et des collectivités territoriales dans ce domaine.
Face à ces réalisations le système de santé marocain est encore confronté à plusieurs défis à savoir la faiblesse de l’offre de soins, la pénurie en ressources humaines, l’insuffisance en qualité des soins, l’absence d’une généralisation de couverture médicale de base, la persistance des disparités entre régions et entre milieu, Insuffisance du financement et son efficacité et la forte participation des ménages aux dépenses de santé.
Dans l’objectif de faire face à ces différents défis et pour participer à l’amélioration de la santé de population et faire face aux éventuelles épidémies ou autres urgences de santé publique, une refonte du système de santé s’impose. Des propositions susceptibles de contribuer à éclairer les décideurs ont été formulées en vue de remédier aux limites constatées :
- L’investissement en santé, un facteur de croissance économique
Le capital santé correspond à l’ensemble des conditions de santé que les individus accumulent tout au long de leur vie. En général, la santé peut contribuer à la croissance économique à travers l’amélioration de la productivité à l’échelle microéconomique et macroéconomique, l’augmentation du nombre de personnes capables de travailler, l’amélioration des résultats de l’éducation, l’augmentation de l’épargne et l’investissement (Bloom et al. 2000).
Un mauvais état de santé de la population participe à la création d’une spirale sans fin de pauvreté et dans les cas des épidémies et des pandémies peut impacter tous les secteurs de l’économie d’un pays.
Le capital santé implique des investissements dans l’être humain nécessaires au maintien de sa santé et de ses capacités et qui leur permet de réaliser pleinement leur potentiel en devenant des membres productifs de la société.
- Assurer un financement soutenable pour la santé
Le budget alloué à la santé au Maroc est aux alentours de 6% du Budget général de l’Etat, ce taux reste en-deçà du taux recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé qui avoisine 12%. L’atteinte de la Couverture Sanitaire Universelle suppose l’existence d’un financement soutenable face aux différents enjeux tels que les besoins de financement du RAMED, les besoins croissants de financement en raison de vieillissement de la population, de l’émergence des affections de longue durée et affections lourdes et coûteuses et des éventuelles épidémies ou autres urgences de santé publique. L’enjeu est à la fois augmenter le budget de la santé et aussi d’assurer une gestion efficiences des ressources disponibles.
- Adaptation du système de santé aux enjeux démographiques, épidémiologiques et sociétaux
Ces transitions sont caractérisées essentiellement par une diminution de la fécondité et une augmentation de la longévité, un déclin progressif des maladies infectieuses et de la malnutrition, l’émergence des maladies non transmissibles comme les maladies cardio-vasculaires et les maladies chroniques ou dégénératives et aussi l’apparition des éventuelles épidémies ou autres urgences de santé publique. Ces changements sont dûs essentiellement au développement socio-économique associé à des changements dans le mode de vie des personnes.
Le système de santé est à l’épreuve de ces nouveaux défis liés aux transitions démographiques, épidémiologiques et sociétaux. Il est amené à s’adapter avec cette nouvelle réalité et de la prendre en compte pour formuler les réponses adéquates à tous les niveaux.
- Amélioration de la qualité des services de santé
La qualité des services de santé a fait objet de plusieurs critiques à raison de l’augmentation de la demande de soins qui n’est pas accompagnée de la même manière par des efforts pour améliorer l’offre en infrastructure, en ressources physiques et humaines et en gouvernance du système de santé.
Devant cette situation des efforts sont à fournir pour améliorer l’accessibilité aux services de santé, assurer un développement quantitatif et qualitatif de ressources humaines, valoriser les ressources humaines de la santé, améliorer le plateau technique et améliorer la satisfaction des usagers.
Aussi, l’amélioration la qualité des services de santé passe nécessairement par le changement du mode actuel de gestion des structures hospitalières à l’échelle régionale et locale et les doter d’une autonomie réelle de gestion dans le cadre d’une contractualisation.
- Régionalisation de la santé : pour une lutte contre les disparités territoriales
Le système de santé actuel présente plusieurs disparités territoriales entre régions et entre milieux en termes d’investissement physique, de capital humain et aussi en termes de résultats de santé.Le Maroc a fait un choix stratégique de positionner la région au cœur de toute politique de développement, le système de santé est amené à s’inscrire avec force dans cette dynamique à travers un processus actif de réorganisation de l’offre de soins, de décentralisation et de déconcentration pour plus d’équité et de réactivité aux problèmes de santé.
- Développement des ressources humaines pour la santé
Le système de santé souffre d’une à pénurie aiguë en ressources humaines, l’OMS classe le Maroc parmi les 57 pays souffrant d’une crise en ressources humaines pour le secteur de la santé[3],une inégale répartition géographique entre milieux et entre régions et intra-régions, une insuffisance en formation continue et une faible motivation pour le travail dans les zones éloignées.
Au cours des dernières années des efforts ont été fournis qui ont permis essentiellement de renforcer les capacités de formation et d’augmenter le nombre de postes budgétaires dédiés à la santé. Avec la transition épidémiologique et l’extension de l’offre soins pour atteindre la couverture sanitaire universelle des actions sont encore à mener dans le cadre d’une politique nationale à long terme des ressources humaines pour la santé. Cette politique est amenée à assurer la planification, le développement et la gestion moderne et prévisionnelle des ressources humaines pour assurer une adéquation entre l’offre de personnel de santé et les besoins actuels et futurs de la population, une répartition géographique équitable des ressources humaines et la motivation des ressources humaines pour la santé.
Le personnel de santé est considéré comme un déterminant essentiel pour atteindre la performance du système de santé. Un personnel de santé compétent, motivé et en nombre suffisant est essentiel pour atteindre les objectifs sanitaires, satisfaire les besoins de santé de la population et aussi pour faire face aux situations de crise ou de catastrophe.
- Transformation digitale du système de santé
La transformation digitale consiste à adopter des solutions innovantes en utilisant la Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) sous plusieurs formes à savoir la télémédecine, le e-santé, les dossiers des patients informatisés, l’e-learning et l’utilisation des TIC dans le système d’information sanitaire intégré. Cette transformation peut jouer un rôle fondamental dans la recherche de performance globale du système de santé. Elle va permettre essentiellement de moderniser le système de santé, étendre l’offre de services de santé pour plus d’équité, libérer le personnel de santé de tâches chronophages et à faibles valeurs ajoutées, réduire les coûts et les délais, automatiser la collecte de données pour des prises de décisions éclairées et améliorer la qualité des prestations de santé et la satisfaction des usagers.
- Renforcement du partenariat et de la complémentarité entre le secteur public et le secteur privé
Le Secteur privé de santé joue un rôle important dans l’offre des services de santé, ainsi le renforcement du partenariat public-privé (PPP) constitue une voie de recherche de performance nouvelle dans le secteur santé.
Le partenariat entre le secteur public et le secteur privé est essentiel pour permettre aux patients d’accéder à des services de soins de santé de qualité à proximité de leur domicile, une mobilisation des ressources et de l’expertise des deux secteurs et un renforcement de la couverture sanitaire équitable entre zone géographique et entre groupes sociaux.
- Mobilisation sociale pour une forte participation communautaire en faveur de la santé
Au Maroc, on compte un nombre important d’associations réparties sur tout le territoire national,de nombreux parmi eux œuvrent dans le domaine de la santé mais cette participation reste en deçà des attentes.
Ces acteurs peuvent jouer un rôle important pour accompagner et compléter les efforts fournis dans plusieurs domaines qui présentent des défis, parmi ces rôles :le plaidoyer et la mobilisation des fonds pour des projets de santé, le renforcement de l’offre de soins et l’équipement des structures de santé, l’éducation sanitaire et la vulgarisation des messages informatifs, l’organisation des campagnes de dépistage, l’appui psycho-social des patients et la protection et promotion des droits et intérêts des patients.
- Assurer une bonne gouvernance du Régime d’Assistance Médicale aux Économiquement Démunies (RAMED).
Avec la généralisation du RAMED en 2012, plus de 8 millions de personnes supplémentaires ont maintenant accès à des services de santé gratuits dans le secteur public. Malgré ces performances des efforts sont encore à mettre en œuvre pour stabiliser et sécuriser les ressources financières dédiées au RAMED, confier la gestion du RAMED à un organisme de gestion selon des principes de bonne gouvernance, réorganiser le système de soins pour répondre à la demande croissante de soins, améliorer les critères d’éligibilité et le ciblage des bénéficiaires du ce régime qui doivent faire l’objet d’une révision régulière pour tenir en compte le changement dans le statut socio-économique des ménages.[4]
- Amélioration de protection financière des ménages contre les risques de maladies
Environ 50% des dépenses totales de santé sont financées par le paiement direct des ménages, ce qui donne une dépense de santé moyenne par habitant qui s’élève à 1 578 Dirhams contre 1002 Dirhams en 2013[5]. Un bon système de santé est à même de prévoir peu de paiements directs pour protéger mieux les pauvres contre le risque de dépenses catastrophiques.
L’atteinte de l’objectif de parvenir à une « Couverture Sanitaire Universelle (CSU) » au Maroc suppose que tous les individus ayant un besoin de santé accèdent de manière équitable à des services de santé complets de qualité, sans risquer de se ruiner financièrement ou de s’appauvrir.Dans ce cadre, il faut renforcer la résilience de la famille marocaine en tant que « noyau protecteur » à travers une protection financière par une couverture des personnes non encore couvert par les régimes mis en places à savoir les personnes pauvres et les vulnérables, le secteur informel, professions libérales, les parents des salariés, les migrants et les réfugiés.
- La Santé dans toutes les politiques : une approche vers la réduction des inégalités sociales de la santé
La santé dans toutes les politiques est une approche intersectorielle globale des politiques publiques fondée sur la reconnaissance que les plus grands enjeux actuels de la santé sont souvent liés par l’intermédiaire des déterminants politiques, environnementaux, économiques et sociaux sous-jacents à la santé de la population. Ces déterminants sont les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent, ainsi que les différentes forces et les différents systèmes jouant sur ces circonstances.
Les inégalités sociales de santé impactent de manière significative l’état de santé des patients, pour cela une intégration de la santé dans toutes les politiquess’impose à travers une action multi-sectorielle et collaborative pour mener une action coordonnée sur ces déterminants et aussi pour agir sur les conditions qui favorisent la précarité et la vulnérabilité socio-économique.
Enfin, les inégalités sociales de santé doivent constituer un objet de politique publique à part entière et la santé en générale doit constituer une composante importante dans les politiques et des stratégies de développement du pays pour améliorer les conditions de vie, réduire les inégalités sociales et réaliser une prospérité durable.
[1] Sources : ENPSF 2018, ONDH, Banque mondiale
[2]Les soins de santé de base : vers un accès équitable et généralisé. Avis du Conseil Economique, Social et Environnemental. Saisine n° 4 / 2013
[3]http://www.emro.who.int/images/stories/morocco/documents/Joint_Cooperation_Programme_Morocco_VF_120116.pdf
[4] Rapport d’évaluation du Régime d’Assistance Médicale aux Economiquement Démunies, ONDH, 2017.
[5] Comptes Nationaux de santé 2013- Maroc
Soyez le premier à commenter