Khaoula LANSARI : Quel développement pour les oasis ?

Au Maroc, plusieurs stratégies post indépendances se sont suivies pour des objectifs de libéralisation et ont engendré d’importants changements des conditions de pratique de l’agriculture et à une transformation des systèmes oasiens traditionnels. Ces dernières connaissent actuellement de nouvelles stratégies d’adaptations, notamment, tourisme local, spécialisation des cultures, démarche de qualité, renouvelant ainsi les fonctions du territoire. Dans un contexte national de bouleversements sociopolitiques, de globalisation, de mondialisation, des dynamiques contradictoires apparaissent : l’apparition d’initiatives collectives récentes pour la transformation des modes de gestion ancestrales et intégration accrue à des logiques globales contradictoires avec celles de l’oasis.

 Le contexte oasien est composé de 4 grands bassins hydrauliques, d’une superficie de 107.324 Km², soit 15% de la superficie nationale. Ce dernier compte 1.6 millions d’habitants, soit près de 5,3% de la population du pays, couvrent le territoire de 8 provinces et 113 Communes oasiennes.

Les ksour et Kasbahs, architecture ancestrale des oasis, sont caractérisés par une prédominance du paysage de masse. En effet, le voyageur est frappé par la conformité et le resserrement des habitations : une ruche qui apparait à l’œil de l’observateur aérien. Cet habitat constitue une bonne adaptation aux conditions écologiques contraignantes et aux possibilités économiques difficiles. Le climat d’insécurité et d’instabilité perpétuelle permet de comprendre l’aspect défensif des constructions : cette préoccupation sécuritaire se reflète dans les sites, dans les techniques de construction, dans les fonctions même de certains édifices, tels que les tours de garde et les greniers collectifs. Les oasiens avaient eu la chance de construire leurs demeures en pisé, qui formaient le meilleur moyen à l’isolement thermique face aux conditions climatiques difficiles. Les Ksours au  niveau de Tafilalet ne se préoccupaient pas de la disponibilité des terres agricoles, chose qui a encouragé la construction des ksours en prenant en considération leur fonction primordiale : profiter de l’eau d’irrigation et de la production agricole.

Cette architecture exprime dans les esprits de ceux qui l’utilisent cet aspect rétrograde, figé, ancien, dépassé et anachronique. Ce sens péjoratif n’est pas vérifié sur le terrain puisque cette organisation est adaptée à la spécificité de ce territoire, adaptée, adaptable, évolutive, pragmatique, sociale, efficace et qui répond à tous les besoins, les exigences et les impératifs de la vie du groupe dont elle est l’émanation. La gestion des ressources naturelles rares et l’aspect communautaire sont d’autant d’éléments d’ingéniosité dans des zones arides ou semi-arides dont l’Homme a su, longuement, gérer.

Cependant, plusieurs mutations ont affecté cet équilibre oasien à travers plusieurs mutations. En effet,avec l’avènement de l’Etat moderne, un nouveau système administratif de contrôle et de gestion de l’espace a été instauré. Cette situation a entraîné le processus des changements dans les activités des populations locales provoquant ainsi le début d’un exode rural vers les centres urbains. C’est à partir de ce moment que les modes d’occupation de l’espace ont changé et que le comportement des habitants dans le choix de leurs lieux d’implantation a suivi une nouvelle logique. Ceci a engendré un renoncement aux anciennes fonctions et formes du ksar pour une nouvelle organisation spatiale caractérisée par une urbanisation accélérée. le nouveau quartier qui remplace le ksar ancien ne présente pas de plan uniforme, mais consiste en une mosaïque caractéristique faite d’éléments d’habitat très  variés  selon  la  forme des parcelles,  leur configuration et  leur site par rapport au finage agricole.

Ces transformations ne sont pas sans répercussion sur  l’équilibre de l’écosystème, la qualité et la durabilité de l’environnement naturel (régression et dégradation des espaces naturels, empiétement sur  les  terres  agricoles  et  les  palmeraies,  perte  progressive  de  l’originalité  et  de  l’esthétique  du patrimoine architectural,…). Aussi, l’argent issu  de l’émigration a permis l’achat de moteurs de pompage dans la nappe phréatique.

Le régime foncier constitue un élément fondamental dans le développement économique. Ce régime, dans les bassins oasiens est relativement simple. Il favorise la mise en valeur agricole. Notons aussi que la présence du Habous dans le Ziz et dans le Draâ s’explique par l’influence (morale et économique) encore forte de certaines “Zaouïas”.

Le trait commun qui caractérise tous les bassins est la forte pression démographique sur le foncier. Cette pression s’est accrue avec l’augmentation de la population. Il en résulte un morcellement et un éparpillement extrême du parcellaire.

Ce morcellement est aggravé par l’accès différencié à l’eau au niveau de chaque parcelle et les modalités d’héritage dominantes : la différence d’accès à l’eau au niveau de chacune des parcelles fait que les héritiers veulent disposer d’une partie de chaque parcelle.

Le morcellement le plus notable affecte les oasis du Drâa et du Ziz et plus particulièrement les oasis des communes de Dadès, Skoura, Ahl El Oust, Tamezmoute, Ait Hani, Goulmima : la taille moyenne des parcelles est inférieure à 0.15 hectare. Dans les communes Sud du Ziz (Sidi Ali, Ettaous, Sijilmessa…), du Drâa inférieur (Foum Zguid..) et celles de la partie Ouest de Tata (Kasbet Sidi Abdallah) la taille des parcelles dépasse 0.5 hectare. Les parcelles de plus grande taille se trouvent à Figuig et Guelmim. Ceci s’explique, en partie, par le mouvement de développement notable, dans ces deux régions, d’exploitations en dehors des zones de cultures oasiennes.

Le politiques publiques, au sein des oasis,étaient initiées par la politique des barrages, soit les barrages de Hassan Addakhil, le réseau d’irrigation autour de l’oued Ziz, Le barrage Mansour Eddahbi et l’alimentation des palmeraies du moyen Drâa. Cependant, il y existe des pertes dans le transfert et dans la distribution à cause d’une incompatibilité entre le système traditionnel et le système moderne d’irrigation et de lâchers de barrage.

L’économie d’eau s’impose donc en urgence, ce n’est en aucun cas un luxe mais un impératif. Celui-ci repose sur la gestion de l’eau, exploitée dans le souci de la durabilité. Le développement durable n’est pas un vain mot dans ces espaces, car l’eau n’est pas une ressource inépuisable et il semble que cette idée passe encore assez difficilement. Il apparaît alors opportun que cette ressource soit reconnue comme un véritable patrimoine.

L’eau apparaît comme le levier du développement agricole dans les espaces oasiens et même bien plus que cela : elle est la ressource essentielle. Or, force est de constater que la situation est alarmante pour les oasis en termes de disponibilités hydriques. Il est urgent – et même vital – de repenser une nouvelle gestion de la ressource dans les pratiques d’irrigation qui se signalent plus par leur capacité de gaspillage que par leur aptitude économe. Devant la gravité du problème, accentué par le contexte de rareté de l’eau dans lequel évolue le Maroc en général et les oasis en particulier, une prise en main par la puissance publique semble nécessaire.

Aussi, partout l’agriculture est en crise.Celle-ci atteint actuellement même les berceaux des oasis, la vallée du Draà et le Tafilalet. Conjugués ensemble, la pénurie hydrique qui dure depuis 5 ans, le gâchis dans l’utilisation des ressources, l’irrationalité des choix de développement, l’aberration d’autoriser encore plus de puits et encore davantage de zones d’extension, ont fait aboutir à une situation intenable; le déséquilibre entre la demande et les ressources a atteint son apogée.

En ce qui concerne le tourisme, celui-ci souffre de plusieurs faiblesses qu’il faudrait réduire à terme. Malgré les efforts consentis pour doter la région en infrastructures routières, l’accessibilité aux régions oasiennes reste encore problématique. Par ailleurs, seules Ouarzazate et Errachidia sont dotées d’aéroports.

Les «Ksouriens» perçoivent en effet la rénovation comme un vecteur de développement social et économique. Pour le développement du tourisme, on a sauvegardé la Kasbah du Glaoui à Ouarzazate, celle d’Aït Ben Haddou et quelques Ksour des vallées du Dra et du Tafilalet. Mais il ne s’agit que d’opérations isolées et rares.En réalité, l’habitat traditionnel et son architecture sont en péril dans le sud du pays. Pour la population, Ksour et Kasbah ne sont plus adaptés aux modes de vie actuels ; ils sont les reliques d’un passé révolu.

Aussi, vouloir maintenir les populations dans leurs anciens Ksour en terre afin de pérenniser ce type d’habitat est une sorte d’utopie, si cela n’est pas accompagné par une réelle amélioration des logements, de leurs réseaux de desserte et de leurs éléments de confort. De même, vouloir réhabiliter, reconvertir ou conserver l’habitat traditionnel pour contrer le processus de désertion des anciens Ksour ne peut se faire qu’avec le consentement des populations et l’accord entre les ayant-droits.

Le nouveau processus d’urbanisation dans la région a été déclenché par la colonisation. Cependant, le contenu démographique et urbanistique demeure une entreprise de post-indépendance. Ce n’est pas le résultat d’un processus de développement intégré des sociétés communautaires.

Dans le Draa-Tafilalt pré-sahariens, le phénomène urbain s’est aussi développé à une vitesse rapide tout en restant accolé à l’espace rural et à la société qui l’a produit. Certes ici, ce n’est pas l’industrialisation qui a entraîné l’élan urbain mais c’est plutôt le fait d’entraînement d’une migration internationale qui sponsorise et configure l’urbanisation, dans un contexte de pauvreté locale, selon une demande configurée construite à la fois sur un besoin d’identification profond puisant sa légitimité dans la civilisation traditionnelle et une aspiration sociale de modernité subie par fait de mondialisation qui se recoupe avec le choix stratégique des pouvoirs publics.

Ainsi, l’urbanisation oasienne pré-saharienne pose des défis majeurs à la planification et l’aménagement urbains. Elle écarte toute concertation institutionnelle sur le modèle du développement urbanistique approprié. Ceci débite les documents d’urbanisme de toute objectivité les rendant ainsi assez hasardeux, en tout cas soumis à l’efficience.

La ville oasienne nouvelle actuel est la victime de plusieurs erreurs territoriales, résultat de faits subis et non pas de faits d’entrainement d’économie planifiés. D’une part, durant les dernières décennies, l’oasis a subi une transition démographique sans précédent et n’a pas permis au fonctionnement des mécanismes de régulation socio-économique. L’emploi, le logement et les infrastructures de base n’ont pas suivi le rythme d’évolution voulu. Ce qui traduit le développement d’une économie en parallèle (secteurs informels et non structurés), l’extension de l’urbanisme anarchique avec des altérations écologiques (insalubrité, problèmes d’assainissement, de desserte en eau potable, pollution…) ainsi que l’aggravation de problèmes sociaux (pauvreté, marginalité…).

Le processus d’intégration de la région à l’économie globale du pays a bouleversé les fondements de la société et de son espace. L’aspect le plus marquant et le plus tangible de ces mutations est l’accélération du flux migratoire, mais le rôle non négligeable de l’activité agricole base de l’organisation de l’espace oasien ne doit pas être sous-estimé. L’activité agricole restée longtemps figée et destinée à l’autosuffisance va être touchée par les rapports marchands, et ce en dépit de l’exiguïté de la propriété foncière qui représente un sérieux handicap pour toute modernisation.

Le projet de développement, au sein de ce territoire,doit d’abord être capable de fédérer acteurs et populations locales derrière un modèle de développement urbain à assise environnementale, capable de générer les interventions prioritaires à mettre en œuvre, en posant ces questionnements : Avons-nous rationalisé l’utilisation d’eau ? Est-ce que nous avons réussi à maintenir l’activité agricole ou à défaut la convertir ? – Est-ce que vraiment le tourisme est capable à lui seule prendre relais de l’agriculture ? Sommes-nous arrivés à assainir la situation foncière ou à formaliser l’action de l’Etat en la matière ? Sommes-nous capable d’opérer une classification régionalisée des terres, plus détaillée que la classification habituelle ambiguë ? Avons-nous réussi à requalifier l’habitat et les zones urbains ? Avons-nous réussi à mettre en place une politique urbaine rationnelle aux défis que posent les villes oasiennes ? Pouvons- nous dire que notre diagnostic environnemental n’est pas amplement en dégradation ? – Avons-nous réussi à convertir les retombées de l’émigration internationale en action de développement durable ?

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