Abdelhak Saaf – Chercheur au CERSS–
Plusieurs considérations plaident pour faire de la migration un des leviers essentiels du modèle de développement du Maroc en cours d’élaboration.
Outre sa situation géographique en faisant, depuis toujours, un carrefour quasi obligé de civilisations facilitant les mobilités humaines dans toutes les directions du globe, le Maroc compte une diaspora de plus de cinq millions de personnes expatriées (soit environ 10% de la population totale du Royaume) répartis sur plus de 100 pays dont les transferts de fonds représentent une des principales ressources pour l’économie nationale à côté des phosphates et du tourisme. Mais le Maroc a vu aussi s’établir sur son territoire, depuis que l’Europe a renforcé le contrôle de ses frontières externes, des dizaines de milliers de migrants étrangers provenant dans leur majorité des pays africains subsahariens. Or, selon certaines études prospectives, ce statut du Maroc en tant que pays d’émigration, de transit et d’immigration ira en s’amplifiant. C’est dire que la migration est un fait réel incontournable qui s’impose au centre de toute réflexion stratégique pour le Maroc.
Si depuis l’indépendance jusqu’à nos jours, de nombreux programmes ont été implémentés dans le domaine de la migration, il demeure vrai que les avantages et l’impact sur l’économie et la société marocaine et donc sur le développement global du Maroc, sont restés en deçà de ce qu’ils pouvaient être. La raison en est que l’Etat marocain a privilégié dans l’appréhension du phénomène migratoire, phénomène complexe et multidimensionnel vecteur de multiple potentiels, quasi-exclusivement sous l’approche économico-sécuritaire au détriment d’une approche développementaliste holiste. Cela ne doit pas surprendre puisque le pays a manqué jusqu’ici de vision stratégique globale pour son développement dans laquelle cette approche pouvait s’insérer.
Aujourd’hui, à l’heure de la réflexion pour l’adoption d’un modèle de développement qui puisse assurer le bien être de la population marocaine et élever le Maroc au rangs des pays émergents au cours des prochaines décennies du XXIème siècle, une nouvelle approche du fait migratoire qui rompt avec celle suivie jusqu’ici s’impose. Les politiques migratoires implémentées jusqu’à nos jours ont fait preuve de leurs limites et il serait absurde de les dupliquer pour la période à venir surtout que le contexte est en perpétuelle évolution. Plus concrètement il semble opportun à ce moment de réflexion sur le développement du pays de renverser la vapeur et de rompre avec l’approche économico-sécuritaire au profit d’une approche développementaliste holiste afin d’optimiser les avantages susceptibles d’être tirés de la gestion de la migration. Celle-ci paraît être la seule en mesure de faire de la migration un des leviers principaux du développement du Royaume. Cette approche s’impose d’autant plus que les défis que le Maroc risque de confronter à court et long terme sont d’une importance cruciale. En effet, d’une part le Maroc devra maintenir et consolider ses liens, jusqu’ici solides, avec les membres de la diaspora, surtout que plusieurs facteurs œuvrent à leur affaiblissement à long terme, ce qui ne manquerait pas de se répercuter sur l’économie et la société marocaine. D’autre part, se posera au Maroc la problématique de la gestion de la migration étrangère au Maroc et ses incidences sur la cohésion de la société marocaine.
Afin de faire face à ces défis et pour que le Maroc puisse tirer profit de la migration comme levier stratégique de son développement, il semble judicieux qu’un nouveau cadre stratégique de la politique migratoire marocaine soit mis en place et intégré dans le modèle global qui sera adopté pour le Maroc. Les préalables et des propositions suivantes peuvent constituer une contribution au débat en cours sur le modèle de développement de notre pays.
- Les Préalables :
– La migration dans son sens large (l’émigration des marocains à l’étranger et l’immigration des étrangers au Maroc) doit être perçue d’une manière positive, c’est à dire comme une opportunité et non pas d’une manière négative comme un problème.
– L’appréhension du phénomène migratoire doit se faire selon une approche développementaliste holiste et non pas une approche sectorielle qui l’embrasse dans sa complexité et sa ‘’multidimensialité’’.
– S’inspirer des expériences des pays tiers qui ont su intégrer à profit la migration dans leur stratégie de développement (l’Inde, la Chine, l’Espagne, le Portugal, l’Itale,…)
- Les propositions de fond :
- Améliorer la gouvernance de la migration à travers la rationalisation du cadre institutionnel de pilotage des politiques migratoires ; la simplification des structures et des règles de leur fonctionnement dans le cadre de la recherche de la cohérence et de la complémentarité ; la détermination précise des objectifs ; la délimitation et la précision des attributions et des compétences ;
- Optimiser, élargir et pérenniser l’apport des marocains du monde à l’économie marocaine :
Faciliter les transferts des devises effectués par les Marocains du Monde en développant auprès de chez eux un réseau d’institutions financières de proximité et veiller à réduire le coût de ces transferts afin d’optimiser leur drainage;
- Promouvoir une politique d’attraction des investissements des Marocains du Monde, orientés vers les secteurs productifs créateurs d’emploi et de richesses au lieu des investissements rentiers tel que l’immobilier, tout en leur accordant des conditions plus avantageuses que celles offertes aux investisseurs étrangers et en garantissant leur protection.
- Prévoir dans le projet de régionalisation avancé des mesures qui encouragent et facilitent la territorialisation au niveau régional et local les investissements des Marocains du Monde.
- Miser sur le transfert des savoirs et des savoirs faire via les compétences marocaines de l’étranger
- Mettre en place des programmes ambitieux favorisant la participation des compétences marocaines de l’étranger dans divers domaines en vue de faire bénéficier le Maroc du transfert scientifique et technologique acquis par elles dans les pays d’origine. Ces programmes doivent offrir des conditions fort attractives desdites compétences en vue de les inciter au retour définitif ou temporaire afin de contribuer par leur savoir et savoir faire aux divers projets de développement initiés (emplois et salaires convenables, logements, avantages divers, bref un environnement général facilitant leur intégration professionnelle et sociale…).
- Privilégier la culture comme ‘’soft pouvoir’’ en vue du maintien et de la consolidation des liens entre le Maroc et les membres de la diaspora marocaine :
Une large politique culturelle destinée aux marocains du Monde devrait être initiée. Elle devrait diversifier les projets culturels et en élargir la base des bénéficiaires. Elle devrait prévoir la mise en œuvre de ces projets aussi bien dans les pays de résidence qu’au Maroc lors de leurs séjours temporaires. Cette politique devrait avoir pour but de diffuser au sein des communautés marocaines à l’étranger les langues nationales et la civilisation marocaine. Cela pourrait se faire non seulement à travers le tissu associatif de la diaspora marocaine mais aussi par le biais des nouveaux moyens technologiques de l’information et de la communication. Il pourrait se faire aussi à travers la multiplication de centres culturels marocains notamment dans les régions de concentration des marocains dans les pays de résidence. Il pourrait se faire également par l’élargissement de l’offre des visites touristiques culturelles et scientifiques au Maroc en faveur notamment des jeunes de la deuxièmes, troisième et quatrième génération de descendants des primo migrants. Multiplier les manifestations culturelles sous diverses formes en leur faveur (universités saisonnières, colonies de vacances…etc.). Il pourrait enfin se faire par la multiplication des possibilités de visites des écrivains, artistes, universitaires… dans les pays de résidence.
- Implémenter une politique d’information et de communication qui s’intéresse aux préoccupations des marocains de l’étranger, de leurs problèmes et leurs difficultés tant au Maroc que dans les pays d’accueil et qui leur donne le droit à la liberté d’expression et met en exergue leur contribution au développement de leur pays d’origine. Cette politique doit constituer un canal important de préservation de la culture d’origine des Marocains du Monde.
- Faciliter les séjours des marocains du monde au Maroc :
La nouvelle stratégie devrait prendre en considération la courte durée de séjours périodiques au Maroc des membres de la diaspora marocaine. Pour cela elle doit d’abord prévoir de rendre accessible les prix de transport afin de les inciter à venir le plus fréquemment possible au Maroc (offre de tarifs préférentiels…) ;
- Elle devrait aussi prévoir de développer davantage les opérations d’accueil au pays afin d’éviter aux marocains du monde les pertes de temps aux points d’arrivée terrestres, maritimes ou aériens. Ces opérations d’accueil doivent inclure les services nécessaires pour rendre leur accueil le plus chaleureux et agréable possible.
- Elle doit également prévoir de réserver aux marocains du monde le guichet unique avec des procédures simplifiées qui leur permettent de satisfaire leurs différents besoins administratifs en un minimum de temps et à proximité.
- Instaurer ou renforcer la confiance entre les MM et le Maroc :
La contribution des Marocains du monde au développement du Maroc ne peut être garantie et pérennisée que par l’existence d’une forte confiance des marocains du monde dans les institutions de leur pays d’origine. Cette confiance ne peut se développer que par la reconnaissance par l’Etat marocain aux Marocains du monde d’une pleine et entière citoyenneté. Celle-ci implique la reconnaissance et la mise en œuvre effective du droit des marocains du Monde à la participation politique prévu par la constitution de 2011 (droit de vote, droit d’éligibilité et droit de représentativité dans organes constitutionnels), et le droit de participer à l’élaboration et au suivi des politiques publiques nationales et régionales ou locales. La dite confiance peut aussi se renforcer par le rôle que ces institutions ont à jouer dans la défense de leurs intérêts matériels et moraux tant dans les pays d’accueil (contre le racisme, la xénophobie ou l’islamophobie…etc.) ou au Maroc dans la protection de leur biens (par exemple immobiliers par les services de la conservation foncière…) .
- Lever le défi de l’intégration des immigrés étrangers dans la société marocaine :
- Développer et rendre effectifs à une plus grande échelle les programmes d’intégration des immigrés étrangers prévus dans le cadre de la stratégie établie en 2013 et mettre à niveau les services publics de base (éducation, santé, logement, emploi, système de protection sociale…) pour faciliter leur accueil et leur intégration dans la sociétémarocaine. Un effort de sensibilisation des marocains doit être fait pour améliorer l’image des migrants subsahariens et montrer la contribution positive potentielle à l’effort de développement du Royaume que ces immigrés peuvent apporter.
- Assainir l’environnement général de la vie au Maroc :
C’est est une condition sine qua non pour garantir et optimiser la contribution des marocains du monde au développement global durable du payset ce à travers :
– Rendre effectif l’Etat de droit où règne le respect des règles de la démocratie réelle et élargir le domaine des libertés et des droits humains tout en reconnaissant à tous ceux qui vivent sur le territoire national la pleine et entière citoyenneté ;
– Instaurer un régime économique transparent articulé sur la l’intégrité et concurrence loyale ;
– Développer une société fondée sur les valeurs de la tolérance et de la coexistence et la solidarité.
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