Le livre de N. Ahoujil Nasser, ‘’ l’itinéraire d’un élu’’ ne présente pas seulement le récit d’une ou plusieurs élections. Il conte la trajectoire passionnée d’un jeune homme, originaire d’un terroir du moyen Atlas, Aït Sebaa, entré très jeune en politique, devenu l’un de ses élus, le premier de ses élus (président de la commune), sur plusieurs décennies. Lorsqu’en 1976, il avait décidé de se présenter, l’entreprise paraissait incertaine, une aventure. Jusqu’à cette date, il ne s’était engagé dans des activités cultures, dans un cadre associatif.
Il avait adhéré au mouvement populaire (MP), et y assuma plusieurs responsabilités. Quand bien plus tard, il décida de quitter le parti, il lui fut demandé pour quelles raisons, il répondit : « à Aït Sebaa quand on creuse un puits on trouve de l’eau généralement à 40 ou 50 mètres. Concernant le MP j’ai passé, j’ai passé des années à creuser des centaines de mètres sans trouver d’eau. Aussi je dois changer d’endroit » .
Le livre d’Ahoujil Nasser met à la disposition des acteurs politiques locaux et nationaux, les observateurs et les chercheurs en sciences sociales, un témoignage d’une grande valeur documentaire, sans précèdent me semble-t-il, du moins à ma connaissance. Le récit reprend en termes simples, comme une narration prégnante ayant pour objet les détails d’une vie politique locale intense. L’attachement de l’auteur sur la longue durée à Aït Sebaa est quasi physique, il qualifie d’ailleurs sa commune de seconde mère.
De 1976 à aujourd’hui les faits rapportés s’enchainaient comme les épisodes d’une série qui vous tient. Chemin faisant, l’auteur engage un dialogue ouvert avec le lecteur, lui rappelle le fil directeur de son récit avec comme arrière-plan un tableau du contexte politique, des personnages qui ont marqué la vie politique nationale (tels Aherdane, El Khattib, Laenser, Kadiri, My Ahmed El Alaoui, Gueddira, Basri…), des figures du terroir (gouverneurs, des représentants d’administrations territoriales, des responsables et élus provinciaux et régionaux, des notables…), ainsi que de grands évènements de la vie politique, des anecdotes….
La commune Aït Sebaa est le terrain sur lequel se déroule le parcours de l’élu. Celui-ci y mène un combat continu pour affirmer sa légitimité au début comme candidat, puis comme élu, puis comme président. Il s’agit d’une lutte où apparaissent et disparaissent les alliés, les ralliés, les amis, les appuis, les soutiens. Il fait face aux adversaires, aux concurrents, faux amis, ennemis, ingrats, ‘’traitres’’ etc.
L’auteur revient sur ses séquences de mobilisation, de persuasion, il reconstitue ce long cheminement jonché de récits d’amitiés, de loyautés, de trahisons, de haines de reconnaissances et d’ingratitudes, de soutiens indéfectibles et de défections parfois inattendues. Aux élections, les stratégies individuelles et collectives s’exacerbent. En temps de non- élections, se préparent les prochaines élections.
Sur les élections précisément, l’auteur nous avertit : gagner des voix n’obéit à aucune logique. L’homme qu’il faut à la place qu’il faut serait un vieux slogan vide de contenu, dressé pour vendre des illusions. Les programmes électoraux des partis politiques ne sont plus que des discours sans contenus, et tous justes bons pour la consommation. Aujourd’hui selon l’auteur, peu importe que le candidat soit bon ou non, ce qui compterait pour les gens, c’est qu’il ait de l’argent (moulchkara).
Dès le premier mandat, il s’avère que la gestion des affaires locales est difficile, complexe, aléatoire. Les besoins sont immenses et les moyens limités. On verra l’auteur et ses équipes constamment à la recherche permanente des ressources.
En 1976, le processus de décentralisation était à ses débuts. La tutelle était lourde, les compétences des élus presque symboliques. La commune rurale était encore à l’état d’institution formelle. Au lendemain de son élection, le nouveau président découvre des conditions et des moyens de travail dérisoires : une petite pièce minable au sein du siège de l’autorité locale servait de bureau, un embryon de personnel. Les limites du territoire de la commune n’ont pas cessé d’évoluer, ce qui obligeait chaque fois de s’adapter au nouveau découpage administratif. Le nouveau président devait commencer à partir de peu de choses , d’un siège honorable, du personnel, des ressources, et progressivement d’une culture du service public local….
La politique locale à Aït Sebaa eut pour axe fondamental la mise à la disposition des habitants de l’eau (fontaines, sources), l’électricité, les routes et les pistes, le remboursement aux particuliers des dettes de la commune sur le foncier, les services courants….
Mais d’une élection à l’autre, les décisions stratégiques ont-elles une vie ? L’auteur donne les détails d’une décision prise lors de l’un de ses mandats. Il a été décidé de changer le lieu du marché hebdomadaire de la commune pour un autre mieux situé, plus grand, davantage équipé, et un prêt important obtenu du FEC. L’ancien site appartenait à la commune, était titré et l’idée était de le confier à un investisseur qui pourrait le transformer en lotissements, ce qui allait engendrer des ressources considérables pour la commune.
On imagine le coût de ladite décision en travail, en temps, en efforts de persuasion des autres élus, en lobbying auprès des autorités, en va- et vient entre la commune et les administrations là où elles se trouvent. Le conseil communal qui a succédé à celui qui avait pris la décision a décidé simplement de classer l’affaire et de ne pas lui donner suite.
Pour l’auteur, les compétences politiques ne se réduisent pas seulement à des capacités oratoires et dans l’intrigue. Elles sont avant tout savoir et valeurs. Ce n’est non plus un jardin où il suffit d’entrer pour y cueillir des fleurs quand on veut et comme on veut. La politique est nous dit l’auteur, une lutte permanente et une résilience constante vis-à-vis de tous les défis, quels qu’en soient les prix.
L’intérêt du livre est dans ce qu’il reconstruit un parcours significatif très particulier, celui d’un acteur politique local devenu un professionnel de la chose locale, pragmatique et sincère. L’auteur a réussi à relater en même temps l’histoire politique de son territoire, et à faire sentir au lecteur l’intensité de la vie politique d’une commune du fonds de l’Atlas, et la sensibilité de ses enjeux. Je recommande au grand public, à celui des sciences sociales, et surtout aux politologues sa lecture attentive.
Octobre 2020
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